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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

tôt, alors que son père, elle-même, allaient surprendre Dodekhan au chevet de la « Française » mourante.

Elle revivait cette heure étrange.

Elle entendait la voix du Turkmène disant :

— Je serai libre demain. Et je parie une discrétion. Dans six mois je reviendrai pour délivrer le général Labianov.

Le délivrer ? Le sens de ces paroles lui avait échappé alors ; maintenant elle comprenait la menace renfermée dans ces mots.

Du village des fonctionnaires, des baraquements des condamnés, il ne restait que des décombres.

Le général avait dû se réfugier dans la cabane où la « Française » avait rendu l’âme.

Comment Dodekhan avait-il prévu tout cela ?

Et dans le souvenir de la jeune fille, l’étrange personnage grandissait aux proportions d’un géant, d’un demi-dieu.

Soudain elle s’arrêta, le cœur bondissant dans sa poitrine.

Elle venait de contourner une roche, qui masquait le fond du vallon, et à vingt mètres d’elle se dressait l’humble maisonnette de bois que sa pensée évoquait à l’instant.

Et au dehors, assis devant une petite table pliante, sur laquelle était déployée une carte, le général Labianov se tenait, entouré d’officiers.

Ah ! les jours écoulés avaient marqué sur le gouverneur.

Sa face colorée avait pris des tons de cire ; ses cheveux, sa barbe, étaient devenus presque complètement blancs.

Toute sa personne exprimait la désillusion, l’envol des ultimes espérances.

Et cependant il parlait d’une voix nette, qui, dans le silence, parvenait aux oreilles de Mona.

— Messieurs, au premier assaut, nous succomberons. Nous avons rempli notre devoir jusqu’au bout, et nous pourrons fermer les yeux en nous disant : Il nous était impossible de faire davantage pour Dieu, pour la sainte Russie, pour notre père, le Czar.

Puis plus doucement :

— Tous, officiers ou soldats, nous avons là-bas, au bout de ce long chemin d’acier du Transsibérien, des êtres chers : mères, sœurs, fiancées, épouses, enfants. Avant le dernier combat, laissons-leur notre dernière pensée. J’accorde une heure à la garnison pour écrire ses adieux. Les correspondances seront centralisées ici, enfermées dans un sac, et l’un de nos blessés sera