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LE PRINCE VIRGULE.

Ils s’y engagèrent d’un bon pas ; mais quand, poussé par la charrette, Peg voulut retenir, faire frein, ses forces se trouvèrent insuffisantes, tant et si bien qu’il dut d’abord passer du pas au trot.

La poussée augmentait toujours. Le galop allait s’imposer. Avec ce coup d’œil qui caractérise les grands capitaines, le chiffonnier comprit qu’une catastrophe était inévitable. Il voulut au moins, la ramener aux proportions les plus modestes.

— Écarte-toi, Meg, ordonna-t-il.

Pour lui, obliquant brusquement à droite, il vint donner dans le talus en bordure, et ce, avec tant de bonheur, que les brancards s’enfoncèrent dans la terre meuble, que lui-même y donna du nez, et qu’il en eût été quitte pour ce léger ennui, si l’un des paniers supérieurs du chargement, entraîné par la vitesse acquise, n’avait glissé sur les autres et ne s’était abattu sur les épaules de l’infortuné.

Oh ! il s’en débarrassa aisément, et le fit glisser à terre ; mais là, il demeura stupéfait, ahuri.

Le panier venait de crier :

— Imbécile !

Meg l’avait rejoint, pleine de sollicitude.

Elle entendit le mot malsonnant.

— Qui a parlé ? demanda-t-elle.

Il n’eut pas le loisir de répondre.

Comme poussé par une catapulte, le couvercle s’ouvrit violemment, et de ce panier, que les pauvres chiffonniers croyaient pleins des légumes les plus succulents, jaillit… un policeman.

C’était Dodekhan, un peu étourdi, mais surtout furieux de sa chute.

— Meg !

— Peg !

Ces deux cris se croisèrent lamentables.

Les loqueteux pivotèrent sur leurs talons éculés, prêts à chercher le salut dans une fuite éperdue.

Mais ils avaient à peine opéré ce mouvement giratoire qu’ils tombaient à genoux, les mains tendues, suppliant :

— Grâce pour Peg !

— Grâce pour Meg !

Ces deux êtres de l’ombre, vivant au fond de l’abîme où aboutissent tous les détritus de la société, prouvaient par ces mots qu’une fleur au moins avait jailli de l’ordure, la fleur d’une affection dévouée.