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LE PRINCE VIRGULE.

— Ainsi, Jephté, vous pensez que l’on peut être distrait à ce point ?

— Je l’ai lu dans l’Almanach du cultivateur, mon frère.

— Ah ! ah ! cela était imprimé ?

— Cela était. Je vous le montrerai en rentrant.

Samuel courba le front d’un air pensif ; puis, avec la mauvaise grâce d’un homme qui n’est convaincu qu’à demi, mais qui n’ose rompre en visière avec l’imprimerie :

— Si c’est imprimé, évidemment, cela peut exister. Enfin, Jephté, recoupez du jambon, moi je retaille le pain.

Et tous deux, ayant effectué cette opération, se mirent à mastiquer énergiquement.

— C’est peut-être parce que je fais attention, déclara Samuel la bouche pleine, mais à présent, j’ai tout à fait l’impression que je mange.

— Oh ! moi de même, appuya Jephté… Et même, j’avoue que j’ai soif.

— Buvons un coup, frère.

— Certainement, buvons.

D’une main experte, Jephté débarrassa une bouteille de son bouchon et emplit les deux verres de ce vin blanc, rosé, transparent, que la Californie exporte dans tous les États environnants.

— À votre santé ! Sam !

— À votre santé, Jeph !

Tous deux portaient les verres à leur bouche quand le gardien du pavillon, un vieux brave blessé pendant la guerre de Cuba, s’arrêta en face de l’étalage, et clignant de l’œil :

— Eh ! eh ! bon appétit. Pas besoin de vous demander si vous voyez la vie en rose, à travers cette lunette-là !

Il désignait la bouteille.

— À votre service, fit obligeamment Samuel.

— Bon ! Si ça ne vous prive pas, c’est là une médecine qui ne se refuse pas.

— Alors, on va trinquer.

Un verre plein offert au vétéran, les trois hommes choquèrent les récipients d’un cristal douteux et vidèrent la rasade d’un trait.

Le gardien reposa son gobelet sur l’étal, demeura un moment silencieux, les paupières mi-closes.

Puis, s’essuyant la bouche du revers de sa main.

— Ça, c’est du chenu… on ne peut pas dire le contraire… Je m’en souhaiterais du pareil pendant soixante-dix ans encore.