— Je ne m’en suis jamais plainte, père, insista la fillette.
— C’est vrai… Mais c’est moi qui m’attriste à te voir condamnée à cette vie morne du pénitencier. La jeunesse a besoin de gaieté, de bruit, de mouvement.
Elle secoua la tête :
— Tu ne dis pas tout, père… Ce que tu crains pour moi, ce n’est pas l’ennui… je ne m’ennuierais jamais auprès de toi… C’est la bataille dont tu as peur.
— La bataille, je ne comprends pas.
— Oh ! que si, tu me comprends bien… Les Japonais ont anéanti la flotte russe. Ils ont pris Port-Arthur, Moukden, ils marchent maintenant sur Kharbine… Dès la fonte des glaces, vous pensez qu’ils attaqueront Sakhaline, et alors… vous me renvoyez… Vous avez tort, père… Vas’li m’a appris à tirer au pistolet… J’abattrais mon Japonais aussi bien que lui.
Kozets souriait, Lisbe paraissait suffoquer ; quant au général, il considérait sa fille avec ahurissement.
— Ah çà ! qui t’a si bien renseignée ?
— Mais c’est toi-même, père.
— Moi ?
— Sans doute. L’autre soir, tu parlais de cela avec Vas’li dans ce salon même… Moi, j’étais blottie dans le fauteuil que tu occupes en ce moment.
— Sapristi ! Mais je croyais que tu dormais.
— Je ne dormais que des yeux ; mes oreilles veillaient.
— Ah ! c’est joli de surprendre ainsi les discours des gens…
— Ne t’ai-je pas toujours entendu dire que l’art des surprises est presque tout l’art de la guerre.
À cette riposte, le général ne put se défendre de rire. Kozets profita de l’instant pour demander :
— Mlle Mona étant au courant, rien ne s’oppose à ce que je vous prie de m’apprendre, mon cher général, si réellement vous craignez une attaque des Nippons contre Sakhaline.
— Je m’y prépare de mon mieux, mais sans illusion sur le résultat final…
— Ainsi, à votre avis ?…
— Avant six mois, Sakhaline sera au pouvoir des soldats du Mikado, à moins de circonstances que, malheureusement, je ne prévois pas.
— Ainsi vous lutterez ?…