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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

France, mais d’instant en instant il devenait moins précis, il se fondait.

Avant une demi-heure il aurait disparu, et le steamer filerait à travers l’Atlantique, emportant avec lui l’horizon circulaire et uniforme de la pleine mer.

Quelques goélands, aux ailes souples et cotonneuses, escortaient encore le navire.

Tiennette, peu habituée à ce spectacle inconnu à Paris, se prit à suivre le vol de ses oiseaux, tandis que Mariole, ravi de voir sa fille s’amuser, lui donnait toutes les explications qu’un agent de la Préfecture peut avoir à sa disposition en ce qui concerne les goélands.

Ne sachant trop s’il était satisfait ou non, Albert s’était mis à l’écart.

Accoudé au bastingage, il songeait…

Certes, le côté comique de sa situation lui apparaissait. Homme vulgaire, il se fût abandonné en riant.

Mais la « race » qu’il ignorait être, en lui, l’éducation, pensait-il, avait fait éclore en son être des délicatesses de raffiné ; il lui fallait se répéter qu’il mettrait en danger le brave Mariole et sa fille s’il se révoltait, pour se prêter à la comédie.

Tout à ses réflexions, il n’aperçut pas Dodekhan et Kozets descendant de la passerelle.

Ceux-ci abordèrent Mariole, échangèrent avec lui quelques paroles, qui arrachèrent au Turkmène un geste de satisfaction.

Après quoi il s’approcha lentement de Prince… Kozets le suivait.

Les yeux noirs du jeune homme se fixèrent sur le voyageur absorbé, avec une douceur infinie.

— Pauvre duc d’Armaris, murmura-t-il, pauvre enfant dépouillé de son titre, de sa fortune… tu ne connaîtras jamais plus la mère qui, par moi, veille sur toi.

Sa jeune physionomie avait revêtu une gravité singulière, mais le sourire reparut sur ses lèvres :

— Allons, plus de pensées tristes ; c’est une partie gaie qui est engagée, soyons gai.

Et il vint s’accouder auprès d’Albert.

Surpris, celui-ci leva la tête et resta un peu déconcerté devant cet inconnu qui les saluait du geste.

— Ne cherchez pas, monsieur, fit obligeamment Dodekhan, vous ne m’avez jamais vu.

— Ah ! bien !… Je me disais aussi.