Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans une casa de vedero (guetteur, surveillant des champs) voisine. Nous les sellâmes et nous nous lançâmes sur la piste. Le Rio Grande del Norte atteint, nous découvrîmes aisément le gué. Sur la rive opposée, les traces reprenaient. Nous n’eûmes aucune peine à reconnaître la route que nous avons parcourue ces jours derniers avec le señor Cigale. Les ravisseurs se dirigeaient donc vers le fort Davis.

— Le fort Davis, répéta Dolorès. Alors ce malheureux Massiliague serait aux mains des Nordistes ?

— Hélas ! doña, reprit le Canadien, cela ne saurait faire doute. Voici d’ailleurs ce que j’ai trouvé…

Il tendait en même temps à son interlocutrice, un bouton de métal, sur lequel un numéro, cerné d’étoiles, était gravé.

— Qu’est-ce ? demanda-t-elle.

— Un bouton d’uniforme des garde-frontières de l’Union, perdu certainement par un des hommes de la troupe qui a opéré à San Vicente.

La Mestiza ne répondit pas. Elle avait courbé la tête, son corsage se soulevait avec violence.

— Oh ! gémit-elle, la cause du Sud doit-elle succomber dès le premier effort ? Le « Champion » accepté par tous est captif ; l’œuvre est frappée de stérilité.

Alors la voix tremblante de Francis s’éleva :

— Doña, dit le Canadien ; la vie des chasseurs est une longue guerre contre les hommes et contre les choses. Elle apprend à ne jamais désespérer. Un guerrier tombe, un autre le remplace… Le fusil qui tonne ne s’inquiète pas du nom du tireur, il sert bien quiconque a le regard juste et la main sûre.

Elle l’interrogea du geste :

— Je veux dire, continua-t-il, tandis que le tremblement de son organe se marquait de plus en plus, je veux dire : Massiliague est réduit à l’impuissance, ne perds pas ton temps à le rechercher. Sa captivité prendra fin, le jour où tu triompheras.

Et avec une sorte de ferveur :

— Car tu es l’âme de l’Indépendance du Sud… Toi libre, rien n’est perdu. Étends la main sur le front d’un vaillant et celui-là deviendra ton serviteur, ton « Champion ». Tu es la tête qui conçoit, qui dirige ; il sera le bras qui exécute.

À présent la Mestiza s’était redressée. Ses grands yeux, où brillait une flamme, se fixaient sur le chasseur.