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qu’il se nommait Fabien Roseraie. Il possédait une certaine fortune sans doute, car après quelques semaines passées à explorer le pays, il avait acheté à vil prix la concession qu’il exploitait actuellement, devenue, grâce à son énergie, à son travail, à sa volonté, l’une des plus prospères de la République.

Dès le début, il espanolisa son nom, devint Fabian Rosales. Sévère mais juste, ce qui est la vraie bonté, l’hacendado, malgré sa taciturnité, malgré sa gravité mélancolique jamais déridée par le sourire, était adoré de ses subordonnés. Il y avait cinq ou six mois à peine qu’il était installé, quand un jour, une jeune Indienne Seri, employée aux plantations et réputée pour sa beauté, vint le trouver :

— Padrone (maître), dit-elle, tu m’as engagée pour cinq ans… tu as le droit de me retenir sur la propriété[1], et cependant je viens te demander de me laisser partir.

— Partir ?… pourquoi veux-tu t’éloigner, mon enfant ?

— Parce que la souffrance est sur moi.

— Que signifient tes paroles ? A-t-on été dur ou injuste à ton égard ?

— Injuste, je ne sais, soupira l’Indienne, dur, oui. Mais celui qui me peine est au-dessus des reproches, au-dessus de toi-même. C’est le Grand-Esprit[2].

Intéressé malgré lui par l’étrangeté du dialogue, Fabian demanda :

— Et quelle tristesse a-t-il jetée sur toi, pauvre fille ?

Sans fausse pudeur, elle répondit, ses yeux clairs fixés sur ceux de l’hacendado :

— Il m’a enlevé mon cœur et te l’a donné. C’est fou, n’est-ce pas, la peone rêvant à son padrone. Voilà pourquoi je te prie de me rendre la liberté. J’irai là-bas, bien loin, rejoindre les demeures de ma tribu. Les aveugles, dit-on, oublient les étoiles qu’ils ne voient plus ; peut-être oublierai-je comme eux !

Elle avait croisé ses mains sur sa poitrine en une attitude suppliante et résignée. Fabian la considérait en silence.

Soudain il se rapprocha d’elle.

  1. Tel est en effet la loi mexicaine.
  2. C’est ainsi que les Peaux-Rouges désignent la Divinité.