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— Moi, fit le Marseillais surpris, je ne vous demande rien… pas même l’heure qu’il est.

— Vous agissez prudemment, car je ne suis pas dupe de cette comédie.

— Comédie, bagasse… un peu plus, c’était un drame.

— Préparé par vous.

À ces mots, Scipion ouvrit des yeux énormes :

— J’avoue que je ne comprends goutte…

— Vous ne voulez pas comprendre plutôt, reprit le Yankee d’un ton agressif. Peu importe, d’ailleurs, je suis toujours prêt aux explications. Et plantant un regard aigu dans les yeux de son interlocuteur :

— On a deux duels… on a peur…

— Peur, gronda le Méridional commençant à deviner vers quel but tendait Sullivan.

— Parfaitement. On ne veut pas présenter des excuses… Alors on prévient les gendarmes, ou, ce qui est la même chose, la population de Mexico.

Il n’avait pas achevé que Scipion se dressait. La face joviale du joyeux garçon s’était contractée, une pâleur intense couvrait ses joues tremblotantes. Comme un ressort ses bras se détendirent et ses doigts saisirent l’Américain à la gorge, tandis que ses lèvres s’ouvraient avec effort pour laisser passer ce mot haleté, comme déchiré par les dents serrées :

— Misérable !

Un murmure s’éleva dans l’escorte. Des navajas brillèrent au poing des cavaliers.

Scipion les vit. S’il n’apaisait l’orage, ses enthousiastes gardes du corps allaient, poignarder celui qui avait motivé son courroux.

Par une volonté sublime, il ramena le rire sur ses lèvres, piqua dans son regard une flamme hilare et se tenant les côtes :

— Eh là, ma caillou, rentre tes petits couteaux, mon bon. Je ne dispute pas le señor, je lui esplique une chose. Tu t’es trompé, mes braves, on est bons amis.

Les navajas disparurent :

Alors Scipion se retourna vers Joë, et riant aux éclats pour donner le change aux Mexicains :

— Ha ! ha ! ha ! Mon petit… tu penses que Massiliague a pur (peur). Eh bien… je t’épargne, moi,