maladresse… Ils se sont doutés de mon engagement à votre égard.
— Tu en es certain ?…
— Attendez, vous en serez certain aussi.
Il débita sans broncher l’histoire qu’il avait préparée en route, histoire qui côtoyait sensiblement la vérité.
— Figurez-vous, monsieur Sullivan, que la doña…
— Qui appelles-tu : la doña ? interrompit rudement le Yankee… C’est là un titre qui appartient aux nobles dames seules, et je ne sache pas que celle dont tu surveillais les actes y ait droit.
Une contraction fugitive des traits indiqua l’effort de Francis pour ne pas relever l’offense adressée à la Mestiza. Cependant il continua d’un ton soumis :
— Oh ! vous savez, dans le Nord, nous ne connaissons pas l’espagnol. Je dis : doña, parce que tout le monde le disait, voilà tout… Donc…
Il parut chercher :
— … Donc Dolorès Pacheco nous convia un soir à prendre le thé sous sa tente avec ses compagnons. Nous acceptâmes. On dut mêler un narcotique, à notre boisson, car nous nous endormîmes.
— Hein ?
— C’est comme je vous le dis. Quand nous rouvrîmes les yeux. Dolorès tenait mon portefeuille et me présentait notre traité d’engagement.
— Damnation ! gronda Sullivan.
— Ah ! oui, damnation, appuya le chasseur, car, à dater de cet instant, nous fûmes prisonniers, étroitement gardés… Et plus tard, quand Dolorès Pacheco et sa troupe partirent, ils nous abandonnèrent sans armes, sans nourriture, comme pour nous dire : Mourez ainsi que des chiens, nous ne voulons pas nous salir les mains à verser votre sang.
Le Canadien s’était animé en parlant ainsi.
La rancœur de la clémence méprisante de la Mestiza donnait à son accent une telle amertume que Joë ne soupçonna pas une seconde sa sincérité.
Ce dernier questionna encore toutefois, mais sans raideur :
— Rien ne vous a indiqué de quelle façon cette fille avait surpris votre secret ?
— Rien, monsieur.
Sullivan frappa du pied avec impatience.
— C’est la bouteille à l’encre, c’est le diable…