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— En ce cas, monsieur, c’est convenu. J’ai déjà un duel demain matin, à six heures, au Castillo (mont) de Chapultepec ; si vous voulez bien vous y promener à six heures et quart, j’aurai expédié mon premier adversaire, et je serai tout à votre disposition pour vous diriger vers un monde meilleur.

Gairon s’inclina, et, sans plus s’occuper de lui, Massiliague se dirigea vers sa chambre.

À peine eut-il disparu, que Joë Sullivan sortit de l’ombre d’un couloir, tel un diable jaillissant d’une boîte.

— Très bien, mon brave Francis, dit-il, très bien. Dès l’instant où cet homme consent à se placer en face de votre carabine et de celle de Pierre…

— Il est mort, monsieur Joë.

— J’en suis certain.

Le Yankee riait en prononçant ces derniers mots. Le chasseur lui saisit le bras :

— Ne riez pas, ne riez pas. Le combat, sera loyal, c’est vrai, mais le diable m’emporte si jamais rencontre m’a été aussi désagréable.

— Vous dites ?

— Qu’à l’ordinaire, nous, chasseurs, frappons des créatures humaines seulement pour nous défendre.

— Eh bien ?

— C’est la première fois que je verserai le sang pour de l’argent… et pour faire honneur à la parole que je vous ai donnée, acheva le Canadien avec effort… Cela me produit un singulier effet, et j’aime mieux que l’on ne tourne pas l’aventure en plaisanterie.

Et, tournant le dos au Yankee, Francis descendit l’escalier, au bas duquel Pierre, les mains dans ses poches, sifflotait une ballade indienne.

Sullivan le suivit des yeux.

— Imbécile, grommela-t-il entre ses dents. Ce rustre agite des cas de conscience. Où la délicatesse va-t-elle se nicher ? Va toujours sur le terrain, bison de Québec[1], je serai au Castillo de Chapultepec… avec une excellente carabine encore… Une balle dans le dos couche un homme à terre aussi proprement qu’un lingot de plomb en pleine poitrine. La fin justifie les moyens. Le guet-apens est louable… quand il

  1. Terme de mépris que les Américains des États-Unis emploient volontiers à l’égard des Canadiens.