Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/217

Cette page a été validée par deux contributeurs.

trice… Seulement nul ne connaît demain. Je pleurai donc. Mon compagnon m’aimait. Il eut pitié de moi.

« — Petit, murmura-t-il, tu as raison, un enfant ne saurait envisager le trépas comme un guerrier chargé d’années. Tu seras sauvé, toi.

Il m’indiqua alors le chemin dont je te parlais tout à l’heure.

« — Pars de suite. Je soutiendrai seul l’attaque des Indiens. Un homme ici vaut une tribu. Tu auras, avant que je succombe, une avance suffisante pour que les vermines ne te rejoignent plus.

« Je résistai d’abord, mais il fut persuasif :

« — Mes chasses sont terminées. Vois, déjà l’enflure a dépassé le cou-de-pied, elle gagne la jambe. Lentement, mais sûrement, elle continuera à monter, rien ne peut me sauver. Que ma fin au moins soit utile ! Et puis je fermerai les yeux avec plus de plaisir en songeant que je laisse après moi un vengeur, un ennemi irréconciliable des Apaches.

« Qu’ajouterai-je ? fit tristement le Canadien. Pour la forme, — car l’épouvante de la mort était en moi, — pour la forme, je lui représentai que lui, ayant rendu le dernier soupir, les Apaches prendraient sa chevelure et s’en pareraient comme un trophée de victoire.

« — Bon, grommela-t-il, mon scalp frétillera à la ceinture d’un de ces fils de chiens… Qu’importe, le guerrier qui s’en parera n’osera point se vanter de l’avoir conquis. Quand on lui demandera : Quelle est cette chevelure ? et qu’il répondra : celle du Renard Sanglant ; le questionneur saura conclure : Tu l’as donc volée au cadavre du chasseur ?

« Car, ne t’y trompe pas, petit, termina naïvement le vieillard, une bonne réputation vous suit au delà du tombeau, dans le désert. Aucun guerrier, aucune squaw, ne croira jamais que le Renard Sanglant a été vaincu par un pillard des prairies.

Et secouant la tête :

— Je cédai, acheva Gairon. J’abandonnai mon vieux compagnon, je sus plus tard qu’après avoir épuisé ses munitions, après avoir tué vingt-sept guerriers à l’ennemi, il s’était traîné jusqu’au bord de là falaise, avait attaché une pierre à son cou et s’était précipité dans le Lac Noir, privant ainsi les Apaches du plaisir de s’emparer de sa carabine et de son scalp.

Un silence suivit ces dernières paroles. Les Cana-