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songeaient pas à tenter un assaut par cette nuit claire, si peu propice à leurs desseins.

Pourtant ils veillaient.

De temps à autre, s’élevait de la plaine le chant lugubre de l’ououave (chouette des prairies). L’imitation était parfaite, mais l’oreille du chasseur ne s’y laissait pas tromper. À des modulations imperceptibles, il reconnaissait que le son était produit par un gosier humain.

Soudain Francis se leva. Il alla secouer Pierre qui, allongé tout simplement sur le roc, dormait avec cette insouciance du confortable, caractéristique chez l’homme accoutumé à vivre en plein air.

Le réveil rapide est aussi une habitude chez les coureurs de prairie. L’engagé se dressa, et les yeux ouverts aussitôt :

— C’est vous, chef ?

— Oui, écoute. Les « vermines rouges », contrairement à leurs habitudes, ne se dissimulent pas.

— Je l’ai remarqué, chef.

— Et tu conclus ?

— Que les coquins sont assez nombreux pour être assurés de la victoire. Ils ont reconnu notre position. Elle est forte, c’est évident ; mais c’est une souricière, une fois bloqués ici, impossible d’en sortir ! Derrière nous, la falaise à pic ; devant, la plaine occupée par les diables rouges.

— Ce qui n’empêche pas que, si je voulais, nous leur glisserions entre les doigts. Les lassos de la troupe, attachés bout à bout, nous permettraient de descendre au bord du Lac Noir…

— Les hommes, oui… pas les chevaux.

— Qu’importe. J’ai toujours eu plus de confiance dans mes jambes que dans celles du meilleur coursier.

— Moi aussi, chef. Seulement, les autres ne fourniraient pas une marche de douze ou quinze lieues. Au jour, les Indiens s’apercevraient de notre fuite et nous rejoindraient bientôt.

Francis eut un triste sourire :

— Je ne prétends pas employer ce moyen. Tu le sais, mon brave camarade… je désire un long blocus… pour gagner du temps. Seulement je songeais qu’elle… Elle, tu comprends ce que je veux dire, — elle ne doit pas mourir… C’est par la falaise, que, le moment arrivé, j’irai chercher du secours.