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un soupçon vague, imprécis endors, mais qui d’un instant à l’autre pouvait devenir un danger.

Et quel danger !

Que les assiégés eussent la certitude que leur situation avait été voulue par Gairon, et certes ils n’hésiteraient pas à punir ce qu’ils croiraient une trahison de sa part.

Punition facile, du reste, car le pauvre garçon était bien résolu à ne point opposer de résistance. Il mourrait, victime des deux sentiments contradictoires dont son âme était remplie : son respect pour son engagement vis-à-vis de Sullivan ; sa tendresse insensée pour Dolorès Pacheco.

Mais il entrevoyait une conséquence de la découverte de Cigale, mille fois plus pénible que le trépas.

La Mestiza ne verrait en lui qu’un traître et, lui mort, elle n’accorderait à sa mémoire que du mépris.

Il lui était défendu d’expliquer son but. S’expliquer était trahir le secret de Joë, son « patron », pour quelques mois encore. Il lui faudrait donc se taire, subir la honte imméritée, ressembler à un fourbe pour rester loyal.

Auprès de lui se dressaient deux ombres : celle de l’homme auquel il s’était loué, celle de la jeune fille à qui il s’était donné.

Chacun avait un doigt sur les lèvres pour lui recommander le silence.

Cette lancinante hallucination travailla l’esprit du chasseur jusqu’à la nuit venue.

La lune, par bonheur, était pleine. Elle inondait la terre de sa clarté blanche. Aucune surprise n’était à craindre.

Autour du plateau, les sentinelles, appuyées sur leurs armes, se profilaient dans la lumière argentée comme de noires statues. Les voyageurs que la garde du camp laissaient libres, s’étaient retirés sous leurs tentes.

Un grand silence couvrait, la nature, troublé parfois par le cri d’un oiseau de proie en chasse, par le clapotis du Lac Noir qui, à cent mètres au-dessous du bivouac, étalait sa surface liquide.

Du côté de la plaine, aucun bruit ne décelait la présence des Indiens. Évidemment les guerriers du désert, aussi prudents que braves, avaient reconnu la force de la position occupée par l’ennemi, et ils ne