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Ses yeux s’étaient troublés. Une angoisse intérieure contracta ses traits.

Les paroles de Dolorès l'avaient atteint en plein cœur.

— Dans un mois, avait-elle dit, on parviendrait au but du voyage.

Mais dans un mois, il serait l’engagé de Joë Sullivan. Dans un mois, sous peine de forfaire a l’honneur, il devrait enlever le Gorgerin d’alliance à la Doña ; il devrait le porter a son engageur, désespérer celle qui avait pris, à ses yeux, l’apparence d’une divinité, à qui, dans son cœur, il dressait un autel.

Il fallait dissimuler pourtant.

Comme les autres, il feignit de se rallier au projet de la jeune fille. Mais, le conseil terminé, il alla se coucher à quelques pas de ses compagnons, après avoir étendu son sarape (couverture rayée), au-dessus de sa tête, au moyen de piquets plantés en terre.

Pierre le rejoignit :

— Chef, votre situation va devenir mauvaise.

— Pourquoi me le dire ? gronda Francis avec humeur… je ne le sais que trop.

— On pourrait partir en reconnaissance et ne pas revenir.

— Impossible, j’ai promis à Joë de ne pas quitter la doña Dolorès.

— Diable ! Alors vous serez près d’elle dans un mois.

Gairon ne répondit pas.

— Et si elle trouve son satané collier, continua l’engagé, vous serez forcé de le lui prendre.

Le Canadien grinça des dents. Ce lui était une souffrance aiguë d’entendre affirmer par son compagnon ces choses qui déjà hantaient son cerveau.

— Jamais je n’agirai ainsi, fit-il avec une colère concentrée.

— Alors vous adopterez mon premier moyen, fuir.

— Ma signature me le défend.

— Il faut cependant choisir, chef.

Gairon tourna le dos à Pierre et fit mine de s’endormir. Vers le soir seulement, quand le signal du départ fut donné, le chasseur qui était resté en arrière, appela son engagé d’un signe.

Celui-ci rapprocha aussitôt.

— Pierre, commença lentement le chef, je t’ai brutalisé ce matin. J’ai eu tort, excuse-moi.