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travailleurs enfonçaient jusqu’aux genoux, nécessitèrent la construction de véritables travaux d’art.

Il fallait, à l’aide de la dynamite, abattre de gros arbres ; les amener au bord de l’eau, les utiliser comme des cales sur lesquelles on tirait, à force de bras, les chalands préalablement déchargés, C’était un travail effroyable.

Les charges, portées à dos d’homme, restaient à la garde de quelques tirailleurs, tandis que, suivant la voie latérale au fleuve, les embarcations, poussées sur des rouleaux de troncs d’arbres, grossièrement façonnés à la hache, contournaient lentement les barrages.

Il fallait des précautions infinies, un temps effroyablement long pour gagner ainsi quelques kilomètres.

Il y eut des jours où l’on ne progressa que de dix-sept cents mètres.

Puis après, un bief libre de la rivière se présentait. On remettait la flottille à l’eau. Un nouveau barrage se présentait après quelques heures de navigation ; et il fallait recommencer le déchargement, la marche éreintante dans les fourrés. Et ainsi de suite.

Afin de faciliter les mouvements d’ensemble, l’adjudant de Prat forma une équipe de chanteurs.

Ceux-ci, à tour de rôle, donnaient la mesure aux hommes qui tiraient sur les chalands ou sur les pirogues.

Et les échos de la forêt sombre, qui étendait de chaque côté de l’eau son impénétrable rideau de verdure, retentissaient de chœurs pittoresques :

En voilà un !

Le joli un !

À un s’en va !

Hardi là !

À un s’en va s’en aller !

Ohé !

Les noirs, amusés par la chanson, tiraient en cadence sur les cordes.

Parfois, quand se présentait une bande de terrain dénudé où la traction pouvait être activée, le clairon sonnait une charge, et les nègres, sans s’inquiéter de la vase qui leur montait aux cuisses, ni des insectes sanguinaires, allaient de l’avant, barbotant dans la boue infecte d’où s’échappaient des miasmes délétères.