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— Précisément ; mais, entre deux maux, il faut choisir le moindre. Il vaut mieux qu’ils chantent notre fuite que notre trépas.

Les officiers restèrent silencieux après ces dernières paroles.

La gravité des responsabilités qui leur incombaient dans ces régions lointaines, sourdement ameutées par les agents britanniques, pesait sur eux.

Leurs regards se portèrent sur la colonne.

C’était d’eux seuls, de leur vigilance, de leur énergie que dépendait la vie de tous les hommes qui les accompagnaient.

C’était d’eux seuls que la France attendait le succès.

Et soudain Mangin s’arrêta.

— À propos, pourquoi la France ne crée-t-elle pas des champions comme l’Angleterre ?

Ce fut le commandant qui répliqua :

— Parce qu’elle n’a pas d’agents libres.

— On en envoie…

Le chef secoua la tête :

— Non, mon cher capitaine. Ils doivent venir librement, en colons, et, dans notre pays, le colon manque.

Et avec un soupir :

— Les uns accusent le Gouvernement de ne pas encourager la colonisation. Les autres s’en prennent au caractère national qu’ils disent casanier. Certains prétendent que la tendresse égoïste des mères, plus disposée à former des jeunes gens efféminés que des hommes, est seule coupable.

— Et vous, mon commandant, quel est votre avis ?

— Oh ! moi… Je crois que tous ont un peu raison. Ce qui nous a rendus casaniers, en France, c’est surtout la prospérité. Pourquoi s’exiler, pourquoi courir les risques des entreprises en pays neufs, quand notre patrie nous assure tout ce que nous pouvons désirer. Aujourd’hui cela commence à changer. Notre dette publique énorme, nos dépenses militaires irréductibles, car elles sont la condition sine qua non de l’existence de la France, l’encombrement de toutes les carrières libérales, dû à l’extension incessante de l’instruction ; toutes ces raisons font que les regards de la jeunesse se tournent vers ces possessions françaises que nous autres, soldats, avons conquises pour lui permettre d’en exploiter les richesses. Toute une génération de coloniaux grandit. Dans vingt ans,