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Et soudain il s’arrête interdit.

Il vient de recevoir comme un grand coup au cœur.

Là-bas, en avant, à six cents mètres, cet homme qui vient à sa rencontre…

Est-ce qu’il voit bien ? Est-ce que ses yeux troubles ne le trompent pas.

Il a cru reconnaître Baratier.

Il se penche, il regarde encore, tendant toute sa volonté pour voir, pour bien voir.

L’homme se rapproche toujours.

C’est Baratier, c’est lui.

Enfin !

Le capitaine n’est plus qu’à cent mètres.

Lui aussi a aperçu son chef. De loin il le salue.

Mais comme ce salut est contraint. Qu’a donc le pétulant officier dont l’exubérance, la gaieté sont proverbiales dans toute l’armée.

Il est raide, guindé, grave… Parbleu ! on dirait qu’il est triste, lui !

Triste, Baratier… ?

Mais alors… ?

Un voile de deuil se tend sur l’esprit du commandant Marchand.

Le capitaine n’est plus qu’à vingt pas.

Dans une ardente interrogation, le chef de la mission tend vers lui ses mains frémissantes.

Il a mis toute son âme dans ce geste.

Doit-il garder, son drapeau à Fachoda, ou bien lui faut-il battre en retraite, abandonner la partie aux Anglais ?

Et Baratier baisse la tête.

Pour répondre, il n’a trouvé que ce mouvement. Il courbe le front comme les coupables et les vaincus.

Marchand a un rugissement sourd.

D’un coup sec il rejette la tête en arrière, cambrant le buste, les lèvres entr’ouvertes comme si la respiration lui avait manqué soudainement.

Ses bras sont étendus rigides à droite et à gauche, et ses mains crispées tremblent.

Il y a tant de douleur, tant d’angoisse effrayante dans son attitude, que Baratier s’arrête un instant éperdu, ne sachant plus que faire !