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vibrant encore de l’incroyable voyage, du but touché, atteint, et qui peut-être dans sa main crispée allait se fondre, se dissoudre, disparaître comme une fragile bulle de savon.

Alors, il partait, descendait vers Boulaq, sortait de ce faubourg.

Il allait le long du Nil, miroir liquide que le ciel plaquait d’azur.

Il cherchait un endroit solitaire, où il lui fut permis de rester seul avec sa pensée.

Quand il l’avait trouvé, il s’asseyait à terre, au bord de l’eau courante, et son âme s’envolait vers le pays lointain où se jouait la destinée de sa conquête.

Quel rêve l’emportait dans le temps et dans l’espace.

Il se revoyait enfant, grandissant dans la petite maison où son père exerçait l’humble profession de menuisier.

La demeure lui apparaissait avec son enseigne vermoulue sur laquelle on déchiffre encore l’inscription :

MARCHAND,
menuisier.

Et puis, au dehors, la petite place de forme irrégulière, où il jouait avec ses petits camarades, tandis que dans l’atelier le rabot grinçait, accumulant sous l’établi les frisons de copeaux.

Et les odeurs embaumées du sapin, du chêne, du noyer, remplissant la maison.

Tout cela lui revenait, doux souvenir dont son cœur endolori était mollement bercé.

Et puis des larmes roulaient sur ses joues.

C’est qu’une figure se détachait sur le fond brumeux du songe.

Une forme chère, à laquelle il a dit le dernier adieu.

Une forme que la réalité ne lui permettra plus de voir.

Sa mère, simple et vaillante compagne de l’artisan, dont l’affection a fait de ses fils des tendres et des courageux.

Elle est là, debout sur le seuil, elle étend les bras, sa voix résonne dans le silence.

— Allons, gamins, assez de toupies pour aujourd’hui ; venez dîner.