La conversation affecte un tour amical, mais elle ne le conserve pas longtemps.
Brusquement le sirdar demande :
— Comptez-vous vous y arrêter longtemps ?
Ah çà ! il n’a donc pas compris les termes de la lettre que lui a adressée le chef de la mission.
Ou bien la considère-t-il comme nulle et non avenue.
Aussi, le regardant bien en face de ses yeux clairs, Marchand répond-il d’un air détaché.
— J’y resterai jusqu’au moment où mon gouvernement jugera à propos d’envoyer des troupes de relève.
C’était net.
Le sirdar eut un haut-le-corps :
— Prétendez-vous dire, s’exclama-t-il avec une vibration dans la voix, prétendez-vous dire que vous considérez Fachoda comme ville française ?
À son tour le commandant parut étonné.
— Pardon, fit-il, je ne comprends pas bien sans doute. Vous me demandez si je crois être à Fachoda en pays français ?
— En effet je vous le demande.
— La réponse est simple ; si vous voulez porter votre regard sur ce point…
Et sa main s’étendait dans la direction du moudirieh :
— Vous apercevrez, continua-t-il, un drapeau flottant au haut d’un mât. Peut-être les couleurs ne se distinguent-elles pas à cette distance. En ce cas, je vous apprendrai quelles sont les couleurs de France.
Il fit une pause et acheva :
— Elles abritent toujours une terre française.
Les trois hommes gardèrent le silence.
Évidemment Kitchener se recueillait avant de démasquer les prétentions de la Grande-Bretagne.
Puis brusquement il prit son parti.
Après tout il était le plus fort, pourquoi se condamner à être poli ?
Et sèchement il prononça ;
— Je pense que vous ne refuserez pas d’abattre ce drapeau ?
— Pourquoi cela, dit tranquillement le commandant, évitant ainsi de répondre à la question.
— Parce que l’Angleterre, au nom du Khédive, a pris possession de toute la vallée du Nil.