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Entre temps, des colonnes, soit de ravitaillement, soit de reconnaissance, parcouraient le pays.

C’est ainsi qu’au mois de mars, le lieutenant Gouly fut chargé d’explorer le pays au Nord jusque vers le Bahr-el-Arab.

Le lieutenant Gouly était musicien.

Il s’était procuré dans un village une sorte de guitare indigène, et il lui arrivait parfois de « pincer » une improvisation à la lune.

Or, on se souvient que Marchand avait acheté naguère, pour l’arracher à la mort, une fillette Nyam-Nyam qui répondait au nom de Fasch’aouda.

L’enfant avait suivi la mission.

Alors que la fièvre terrassait autour d’elle les hommes les plus robustes, elle n’avait jamais cessé de se bien porter.

Elle marchait à sa guise, tantôt auprès des officiers, tantôt en flanc des porteurs.

Comme une gazelle apprivoisée, elle était l’idole de tous.

Mais elle était très réservée dans l’expression de ses sentiments, et pendant longtemps l’on put croire qu’elle conservait au cœur, comme une blessure, le souvenir de son pays natal.

Nouvel Orphée, le lieutenant Gouly devait faire fondre le masque de glace de la petite négresse.

La première fois que retentit sa guitare, on vit accourir Fasch’aouda.

Elle s’assit à terre, ses genoux repliés sous elle, en face du musicien.

Et elle demeura là, le regard fixe, se balançant en mesure sur les hanches, tant que l’officier fit vibrer l’instrument.

Quand les dernières vibrations s’éteignirent, elle tressaillit, parut sortir d’un songe.

Et, se relevant sans une parole, elle s’éloigna à pas lents.

La fois suivante, la même scène se renouvela.

Seulement, lorsque Gouly s’arrêta, la négresse vint à lui et, s’exprimant dans le patois bizarre que lui avaient enseigné les Soudanais :

— Toi faire pleurer encore les cordes ; toi bercer Fasch’aouda.

À dater de ce jour, son humeur vagabonde sembla l’avoir abandonnée.

Elle ne quitta plus le lieutenant.