Je lui écris que là où je suis on ne peut me rejoindre, qu’il m’attende à la sortie du marais.
Le 14, à huit heures du soir, mon clairon sonne l’appel. « Ô Largeau, entends sa voix ! » s’écrie Landeroin. Il n’a pas terminé sa phrase qu’un coup de feu lui répond. C’est Largeau. « Clairon ! sonne au drapeau ! » Un nouveau coup de feu répond ; Largeau est tout près !
Mais dans quel état il était ! Marchant depuis un jour dans l’eau jusqu’au cou ! Il a fallu que je le prisse avec son convoi dans le boat. Voyez-vous ça d’ici ? cinquante-trois hommes dans le boat ?
Nous nous entassons !
J’avais pu repasser à travers le marais sans guides, avec mon topo ; j’étais sûr maintenant de pouvoir guider la mission.
Sorti du marais, j’ai trouvé le Soueh baissé de un mètre depuis mon passage ; des bancs de sable de cinq, six, huit cents mètres sans un filet d’eau. Il a fallu lâcher le boat et rentrer à pied. Et c’est drôle, les promenades au pays Djinqui !
Bref, le 26 mars, j’arrivais ici. On me croyait mort. À l’heure qu’il est, je me demande encore si je n’aurais pas dû continuer ! C’est un cauchemar !
Et l’eau monte à peine. Enfin, si à la fin du mois il y en a assez pour les boats, nous filons sans le Faidherbe, qui ralliera plus tard. Mais arriverons-nous à temps ? Ça me semble impossible. Je n’en vis plus.
Nous préparons tout avec Germain pour le départ.
Marchand est à Bia, où vous savez que notre pauvre Gouly est mort. Ç’a été une grande peine pour nous tous.
Mangin est à Ghattos. Dyé aux rapides avec le Faidherbe. Largeau a été constater l’existence contestée du Bahr-el-Home.
Je vais aller faire un tour sur la route de Ziber ; peut-être pousserai-je jusqu’au poste, si j’ai le temps ; car il faut être paré à filer d’ici à un mois. En voilà bien long et pendant ce temps-là je ne travaille pas, les charpentiers, tirailleurs, etc., font peut-être des bourdes. Je m’oublie à raconter mes campagnes, ni plus ni moins qu’un vieux capitaine en retraite.