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buissons, jetés çà et là sur les flancs dénudés du volcan, ils achevaient d’obturer une mine.

Le bourrage devait avoir ici une importance particulière, car il se complétait d’un bouchon de roches cimentées, percé d’un unique et étroit conduit d’où sortait un cordeau ou mèche d’un brun rougeâtre.

— Ah ! Crabb, murmura l’un des travailleurs avec un accent italien bien caractérisé, si le povero nous voyait !…

Son compagnon répondit en modulant les inflexions gutturales que seuls les gosiers anglais peuvent produire :

— Je priais votre personnage, Candi, de ne pas parler de mister Jean dans ce moment.

Il y eut un silence.

L’Italien, petit, sec, râblé, les yeux noirs perpétuellement en mouvement derrière les mèches brunes de ses cheveux, qui s’obstinaient à lui retomber sur le front ; l’Anglais, grand, long, blond, osseux, le visage imberbe, étaient demeurés immobiles, les regards perdus dans le vague, comme oppressés par un souvenir.

— Si le povero nous voyait ! répéta Candi.

— Eh bien, s’il regardait vers nous, grommela Crabb, je demande en quoi cela amènerait le changement de ce qui est.

— En rien, digne Crabb, en rien ; seulement je pense qu’il nous rétirerait l’affecziono de son cœur.

— Eh ! tenez votre langue, homme du Midi, avec vos suppositions qui font courir les frissons dans mon dos… Jean est en France… Il vient d’être proclamé ingénieur… Il va vivre dans le contentement et la respectabilité… Et quand nous lui enverrons un lot de pièces d’or, il dira à lui-même : « Mes pères adoptifs Crabb et Candi ont trouvé un bon filon dans les placers guyanais. » Il se mettra pas le martel en tête de penser que nous faisons le triste chose que nous faisons.