Toute l’arrogance du comte tomba à ces mots. Son visage se couvrit d’une teinte livide. Avec peine, il balbutia :
— Je me serais donc trompé.
— Il paraît. La lettre a été portée au roi d’Elbe qui, non sans grandeur, je dois le reconnaître, vient de la retourner au roi de France.
— La retourner ?
— Oui. Napoléon a envoyé tout exprès à Gênes un de ses fidèles, un certain Henry Pandin…
— Encore lui, rugit le comte.
— Vous le connaissez, c’est au mieux. Ce Henry s’est présenté chez Vialdini, vous savez, Vialdini qui fut valet de chambre de S. M. Louis XVIII durant l’exil, et qui vit de ses rentes à Gênes. Eh bien, Vialdini est accouru à Paris pour remettre, en mains propres, au roi, et la fameuse épître, et un petit billet de l’ex-empereur ainsi conçu[1]. « Sire, la couronne chancelle sur la tête du souverain qui persécute un vaincu. Dieu jugera. Mais je ne veux pas que les hommes puissent accuser un roi de France, car la France elle-même serait atteinte. Je vous renvoie une lettre que vous regrettez, je l’espère, d’avoir écrite. Détruisez-la vous même. Signé : Napoléon. »
En effet, au moment de son départ de Porto-Ferrajo avec Mme de Walewska, Henry avait été chargé par l’empereur de faire parvenir, au roi Louis XVIII la missive enlevée à d’Artin. Le jeune homme s’était acquitté de sa mission ainsi que l’avait raconté de Blacas, puis il avait rejoint les Cinquante.
Maintenant d’Artin ne parlait plus. La tête basse, les sourcils froncés, il demeurait écrasé et furieux devant la brusque volte-face de la fortune.
En vain il s’était gorgé de hontes pour atteindre à la faveur royale. L’édifice s’écroulait d’un coup, et cela, à la minute précise où son architecte se flattait d’avoir réussi.
Il y avait là une surprise effroyable. Une fureur inexprimable, au delà des forces humaines, paralysait le cerveau du comte. Il ne voyait plus clair en lui-même. La nuit physique, la nuit morale l’enveloppaient, ne laissant qu’une perception distincte :
Les Tuileries lui étaient fermées.
Le roi, qui jusqu’alors n’avait caché qu’à grand’peine son mépris pour l’artisan du malheur des Rochegaule, ne le dissimulait plus aujourd’hui.
- ↑ Papiers confidentiels du chevalier de Doroché.