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bientôt parsemée de meurtrissures bleuâtres. Il serait tacheté comme un léopard, un guépard ou un ocelot.

Ah ! s’il n’y avait eu que Lisbeth en cause ! Comme son cœur aurait gaillardement émigré vers une autre combinaison matrimoniale ! Mais, voilà ! Il y avait aussi les millions, et une âme bien née n’attend pas l’expérience du nombre des années pour comprendre que l’on n’abandonne pas des millions, à moins d’être méprisable, vil, indigne de vivre.

Et l’héroïque soupirant au coffre-fort renfonça sa rage, se força à rester à table, immobile, muet et boudeur.

Il examinait Albin à la dérobée, cherchant à deviner par quel moyen ce dernier parvenait à conserver son calme inaltérable.

L’inspection de son rival ne lui donna pas la clef du mystère.

Pouvait-il deviner qu’Albin se promettait de souper copieusement, une fois rentré dans sa chambre ? Pouvait-il soupçonner que Rana feignait de pincer Albin, alors qu’elle le pinçait, lui, Niclauss, de façon si réelle que ses bras en portaient les marques ?

Non, n’est-ce pas ?

Sans un cri, sans une protestation, il supporta la famine. Sans récriminer, il regarda l’impitoyable Rana exécuter des mélanges qui rendaient tous les plats immangeables ; répandre avec une joie simiesque : de l’huile d’arachides sur le rôti ; de la vanille en poudre sur la salade ; du sucre pilé sur le camembert ; du vinaigre sur les gâteaux.

Mais ce à quoi il ne put arriver, et pour cause, ce fut au calme souriant de son rival, lorsque la nourrice jugeait à propos de le pincer.

Il beuglait de douleur, et il étouffait de colère de beugler, alors qu’Albin, le plus gracieusement du monde murmurait, les yeux béats levés vers le plafond.

— Puisse ma vie entière être consacrée à goûter ces célestes joies du ménage !

À part lui, il grommelait :

— À ! oui, il est fort, ce damné Français… Appeler ça « les célestes joies »… Célestes ! j’ai le bras