bougé. J’ai regardé sans presque soulever les paupières ; et j’ai vu, en dehors de ma fenêtre, une ombre humaine debout dans la cour. L’individu portait une lanterne dont il dirigeait la clarté sur moi, à travers les carreaux.
Et puis le personnage s’est éloigné, se dirigeant vers l’autre côté de la cour ; là se trouvent les écuries où l’on a remisé les automobiles.
Ma foi, j’ai sauté à bas de mon lit, chaussé mes pantoufles sans prendre le temps de passer mes chaussettes. Enveloppé dans mon « mouton » (caban de fourrure), je me suis glissé dehors.
Au moment où j’arrivais dans la cour, l’homme disparaissait dans l’écurie. Qu’est-ce qu’il allait y faire ?
J’ai toujours été curieux, mais à ce moment je l’étais bien davantage. J’avais reconnu l’homme à la lanterne. C’était Natson.
Il gelait à pierre fendre. Le froid me coupait la figure. Mais je souhaitais savoir, et, longeant les murs, m’appliquant à rester dans leur ombre, je me dirigeai vers l’écurie. Une clarté vague s’échappait par la porte entre-bâillée. Je coulai un regard à l’intérieur, et… je me mordis la langue jusqu’au sang pour retenir un cri.
Dans le rayon de la lanterne, il y avait trois personnes. Trois personnes qui m’étaient trop connues pour que je pusse hésiter à leur attribuer leurs noms : Larmette, l’ingénieur chilien Botera, et ce traître de Natson.
Ils causaient, tout en se livrant sur notre trente chevaux à un travail que je ne compris pas tout d’abord.
— Tu es certain que le gamin ne saurait se réveiller ?
— Certain, riposta Natson, ni lui, ni les dames. J’ai saupoudré d’opium le poulet au carry qu’ils ont mangé ce soir.
Tiens, tiens… J’en ai mangé et je ne dors pas. Pourquoi ? La chance ! Probablement que je suis tombé sur un côté du plat que l’opium n’avait pas touché…
Natson, qui ne se doute pas que je l’écoute, continue en ricanant :
— Ils ne se sont aperçus de rien. Le carry dissimule la saveur opiacée, aussi M. Botera n’a pas besoin de se presser ; il peut préparer le pneu tout à son aise.