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Ah ! il y a un autre voyageur, un bonhomme arrivé assez tard dans la soirée.

Tout le monde s’était déjà retiré, Mlle  Fleuriane et Patorne au rez-de-chaussée, les autres au premier étage.

Je restais seul dans la cuisine, occupé à passer la pâte sur les brodequins jaunes de la demoiselle. Les employés d’hôtel ne savent pas faire cela ; ils salissent le cuir, l’encrassent ; alors, ma foi, je me charge de ce soin.

En attendant mieux, je marque mon affection comme je le puis.

Et puis, elle a vraiment des amours de brodequins. Je ne sais pas comment on peut mettre des jolies chaussures comme cela pour marcher dans la boue et la poussière. Ma parole ! ça serait à moi, que je les rangerais sur une étagère.

Rrran ! la porte s’ouvre.

Le voyageur entre avec un grand manteau, un chapeau mou sur les yeux. Il secoue rudement ses pieds, enfermés dans de lourdes bottes, si boueuses, que l’on n’en distingue plus le cuir. Et d’une voix rauque, une vilaine voix d’individu qui préfère les alcools à l’eau pure, il demande :

— Où est le man[1] ?

— Dans le saloon, je réponds.

— Eh bien, boy, va le chercher, et ne lambine pas. Il me jette dix cents (cinquante centimes). Bah ! pour lui expliquer que je n’appartiens pas au personnel, il me faudrait plus de temps que pour faire sa commission. Je me lève.

À ce moment, son chapeau s’accroche dans un des fils de fer tendus au travers de la cuisine, pour y suspendre les torchons mouillés. Moi, je suis petit, je passe sans me baisser, par-dessous ; mais lui, un gaillard de bonne taille !… ; Bref, le chapeau tombe… Je vois sa figure. Mâtin ! Elle est laide.

Vous savez ce que l’on appelle une tache de vin… C’est une plaque violacée, couleur de vin commun, de bleu comme on dit, et qui couvre une partie plus ou moins grande du visage.

Certaines personnes voient le jour avec un ornement

  1. L’homme. Façon triviale de désigner le directeur de l’hôtel.