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Le visiteur haussa les épaules :

— Ne tremble pas, timide jouvenceau ou jouvencelle. Tu es en sûreté jusqu’à nouvel ordre.

En dépit des paroles encourageantes, l’interlocuteur d’Alcide se prit à claquer des dents.

— Que se passe-t-il ? parvint-il à bredouiller d’une voix indistincte. Ton air me fait pressentir une catastrophe.

L’autre marqua un geste dédaigneux, puis baissant encore le ton :

— Niais ! fit-il. Le fait seul que je suis venu ici, au risque de trahir ton incognito, aurait dû t’avertir que la situation est grave.

Il s’interrompit brusquement. Une porte s’était ouverte dans le couloir.

Un jeune homme passa près des causeurs et disparut dans l’ascenseur.

Alors seulement, Alcide Norans se décida à reprendre, en affectant un ton léger :

— Il y a six mois, vaguant vers deux heures du matin, je te rencontrai au moment où tu enjambais le parapet du pont d’Iéna, avec l’intention évidente d’aller explorer le fond de la Seine.

— C’est vrai, tu m’as sauvé la vie.

— Est-ce louable ? Là est la question. Mais ne philosophons pas. Je t’emmenai rue des Sautes, je te convainquis de la nécessité de lutter encore, et pendant un semestre nous avons enduré toutes les misères, affamés, mastiquant à vide, notre sang appauvri coulant dans nos veines à une température de neige fondante.

Pierre-Véronique poussa un soupir en manière d’acquiescement.

— Or, poursuivit son ami, nous supportions cela : toi, avec le courage négatif que l’on nomme la résignation ; moi, avec la rage de l’être qui se sent des dents et veut mordre. C’est alors que le hasard d’une rencontre, dans un cabaret de Montmartre, me mit en présence de Véronique Hardy.

— Enfin, nous y revenons.

— Oui. Je me suis arrêté complaisamment à l’exposition de notre situation, pour retarder un peu un