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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

rire. Je me figurais obéir à l’autre, celui que nous n’avons plus revu.

Tous deux se turent un instant. Enfin Joyeux murmura d’une voix incertaine :

— Ah ! celui-là, c’était un dlaï[1].

Puis, sous l’empire d’une émotion qui détonnait quelque peu avec son allure habituelle :

— Tu te souviens de lui, Sourire ?

— Sûrement, j’avais bien cinq ans lorsque nous le vîmes pour la dernière fois…

— Chez le vieux Oang, auquel il nous avait confiés, après nous avoir ramassés, le grand Fô sait où ! — Oang prétendait que c’était dans les rues, où les familles pauvres exposent leurs enfants : toi Joyeux, dans le Thibet ; moi, dans le Petchili.

— Qu’importe… Il nous avait sauvés de la mort, confiés à Oang qui devait nous nourrir, nous élever. Ce n’est pas sa faute si Oang est retourné au pays des dix mille Bouddhas, nous laissant seuls, nous obligeant à errer par les chemins, jusqu’au jour où l’on nous recueillit ici…

— Oh ! je n’accuse ni lui, ni Oang, s’écria la fillette. Seulement il est resté dans mon esprit comme le Maître à qui j’obéirai toujours si je le rencontre. Avec tout cela, le jour baisse. Allons prendre notre repas…

Sourire frappa ses mains l’une contre l’autre.

— Aujourd’hui on mangera à sa faim… les administrateurs étaient contents, ils ont ordonné une distribution supplémentaire de riz.

Le gamin prit la main de Sourire. Escortés par les panthères, tous deux gagnèrent la sortie du hall, traversèrent des cours, des ateliers, et parvinrent enfin au « village ouvrier », édifié à l’ouest des usines, dans le prolongement de la vallée.

La cahute des petits était la dernière.

Des cloisons de torchis, une porte fermée par un simple loquet ; des couchettes économiquement façonnées en remplissant de feuilles sèches, de grossiers sacs de toile, quatre rondins de bois figurent les sièges, une table faite d’une planche vermoulue

  1. Dlaï, mot argotique chinois qui correspond à notre locution populaire, un chic type, un homme d’aplomb.