Page:Ivoi - Le Maître du drapeau bleu.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

— Permettez, Sara, je vous…

— Tu ne me tutoies plus ; c’est donc que je suis tout à fait duchesse…

Il leva les bras au ciel :

— Incorrigible !

Elle imita gaiement le geste.

— … Et entêtée donc ! Je placerai mon speech, tu sais, malgré tout.

Et comme le jeune homme ne pouvait réprimer un hochement de tête exprimant une résignation dépitée, la pétulante brunette reprit :

— Tu te résignes… tu seras récompensé !… Ce sera moins long. Donc, discours en deux points, orchestre de scène approprié. D’abord, les cuivres…

Enflant la voix, gonflant les joues, faisant mine d’assurer sur son nez mutin des lunettes imaginaires :

— Si papa et maman étaient là, ils parleraient ainsi : Monsieur le duc de la Roche-Sonnaille, vous avez un beau nom, mais vous étiez sons fortune…

Lucien rougit légèrement.

— Je te supplie, Sara…

Elle l’arrêta.

— Laisse donc finir papa. Ce n’est ni Démosthène, ni Cicéron, bien sûr ; il parle comme il sait… Je reprends donc : … sans fortune ; ma fille vous apporte les rentes qui vous manquent. Tous deux, nous comprenons l’hyménée comme une opération commerciale… Dès lors, nous entendons qu’il y ait engagements réciproques… Elle vous commandite, vous devez assurer son bonheur.

— Eh bien, mais n’est-ce pas mon désir ?…

— Attends… je vais répondre. Même thème, variations sur la petite flûte ; la petite flûte, c’est moi.

Et, se soulevant de façon à s’asseoir sur les talons, les genoux repliés, elle continua lentement, la voix changée, quelque chose d’infiniment doux dans le regard :

— Moi, je te dis : Lucien, je comprends quelles difficultés tu as rencontrées pour te maintenir, pauvre, dans le monde où tu es né. Je comprends que lorsque l’on t’a offert ma main avec une dot énorme, des espérances plus énormes encore, tu aies été ébloui. Tu n’as vu que ton blason redoré, le lustre