Page:Ivoi - Le Maître du drapeau bleu.djvu/7

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

blé un peu trop recherché pour un autre ; lui, le portait avec une aisance si parfaite, une indifférence si réellement aristocratique, que l’élégance du vêtement était en quelque sorte absorbée par celle du personnage. Une fois par hasard, l’habit ne faisait pas le moine.

Sa compagne contrastait étrangement avec lui. Brune, petite, voire un peu lourde, mais remuante, grouillante, agissante, expressive de ses petits pieds à sa tête mutine, de sa main, de geste éloquent, aux yeux lançant la phrase avant que les lèvres l’eussent prononcée ; yeux étranges, trop petits en bonne esthétique, mais si pleins de pensée, de sourire, de gaieté, de mouvement, qu’ils en semblaient énormes. Bref, une jeune femme, jolie sans régularité, sans distinction marquée, mais charmante parce que vivante au suprême degré.

Tous deux étaient étendus dans l’herbe, au bord d’un cours d’eau. À quelques pas, dans une petite crique ménagée au milieu des roseaux, se balançait un léger canot électrique, de ce système Allin, qui permet le renouvellement automatique de l’énergie électro-motrice.

Sur la rive, une haie de buissons isolait l’arc de cercle gazonné où ils s’étaient réfugiés, les rendant invisibles à quiconque eût passé aux environs ; mais eux, par une étroite solution de continuité de la ceinture de roseaux, pouvaient apercevoir le fleuve, parsemé d’îles basses, bordé de rives plates, qu’auréolait la brume légère, inséparable de tout paysage hollandais, brume à laquelle le soleil déclinant donnait l’apparence miroitante d’un tulle d’argent.

De loin en loin, la silhouette fruste d’un moulin bossuait le sol uniforme. Les grandes ailes tournaient lentement, comme à regret. Ainsi que les êtres, les choses des Pays-Bas ont un flegme spécial ; le mouvement même y est empreint de mélancolie.

Aux dernières paroles de la gentille Sara, Lucien avait eu un mouvement de dépit, et maintenant il demeurait immobile, les yeux obstinément fixés à terre. Elle le regarda, puis, comme se parlant à elle-même :

— J’ai cependant été bien sage. J’aurais préféré au voyage de noces un petit coin à la campagne, pour nous connaître un peu… Nous nous sommes si peu