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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

On gagne sans fatigue des collines aux pentes allongées que couvrent des cottages, des palais, des sanatoria, dont les balcons peints, les toitures fantaisistes en terrasses, en dômes, en mitres, dorées, laquées d’azur, de pourpre ou d’émeraude, pointent, ainsi que des fleurs géantes, parmi le fouillis verdoyant des jardins.

Tout en haut, deux spacieux bâtiments s’accotent l’un à l’autre. De chaque côté de leur mur mitoyen et séparatif, s’étendent des parcs anglais, où les chênes, hêtres, bouleaux des régions européennes sont remplacés par les essences de l’Inde.

L’une des résidences est la prison, vilain nom pour si jolie chose ; l’autre, est la maison de refuge des Teetootalers.

Les Teetootalers sont une association puissante et riche de buveurs d’eau. Quiconque adhère à la société déclare proscrire de son alimentation vin, bière, cidre, liqueurs, toute boisson fermentée ou distillée.

L’eau pure doit seule scintiller « tel le diamant » dans les verres. Par tolérance spéciale, on permet aussi l’usage des eaux minérales.

Or, sous la spacieuse véranda de la maison de refuge, peinte en blanc rosé, rechampi d’or, deux personnes devisaient, berçant leurs paroles du doux balancement des rocking-chairs, sur lesquels elles s’abandonnaient en des poses alanguies.

L’une était une maigre, longue et sèche lady pour qui l’horloge des années devait avoir sonné la cinquantaine. Mais, sans doute, depuis un long laps, elle avait renoncé à s’enquérir de la marche du temps, car son costume, ses manières trahissaient les prétentions les plus comiques à la jeunesse.

Dans ses cheveux, qu’une teinture copieusement distribuée, moirait de tons violets, étaient piquées des corolles rouges. Son corsage-blouse d’un blanc bleuté s’échancrait fortement autour du cou jaune, ridé, avec tendons saillants et des manches larges, coupées au coude, dardaient, d’un flot de dentelles, des bras qui semblaient destinés bien plus aux gestes raides d’un télégraphe articulé, système Chappe, qu’au service d’une créature humaine.

Si l’on ajoute une jupe de gaze verte, que bossuaient les rotules anguleuses, et sous laquelle passaient des pieds chaussés de brodequins jaunes, très étroits, ce dont la personne ressentait une légitime