Page:Ivoi - Le Maître du drapeau bleu.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
326
LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

Contrairement à l’usage, personne ne dormit, et le Turkmène demeura au tableau de direction…

Mona s’était assise près du clavier dont une touche cliquetait de temps à autre, sous la pression des doigts du jeune homme.

Le menton dans la main, le coude appuyé sur la tablette, la jeune fille regardait Dodekhan et, sous ses regards, il ressentait une émotion très douce qu’il n’eût su définir.

— Monsieur Dodekhan, chuchota soudain la fille du général Labianov.

— Monsieur Dodekhan, reprit-elle doucement, vous nous ramenez en Europe pour nous mettre à l’abri de la vengeance du misérable qui vous a trahi ?

Il fit oui de la tête.

— Vous avez l’intention de nous débarquer dans un port français.

— Oui, à Marseille.

— Pour M. et Mme de la Roche-Sonnaille, j’approuve entièrement vos projets. En ce qui me concerne personnellement, il n’en ira pas de même.

— Que voulez-vous dire ?

— Que je veux ma part des dangers que vous avez… l’égoïsme de vouloir affronter tout seul.

La blonde Slave n’avait pas élevé la voix, et cependant son interlocuteur fut frappé de la résolution qui vibrait en son accent.

Il ouvrit les lèvres pour parler, pour combattre la pensée qu’il devinait en elle. Elle ne le lui permit pas.

— Écoutez-moi d’abord… Ensuite, si vous jugez qu’il y ait intérêt à discuter, vous discuterez.

Puis une émotion profonde mettant un éclat plus vif en ses yeux, donnant à l’iris bleu un ton foncé d’améthyste, elle reprit :

— Vous souvient-il de la première entrevue du forçat 12 et de Mona Labianov ?

Et comme il demeurait interdit à cette question, devant le regard fixe de la jeune fille, elle continua :

— J’avais quatorze ans… Et de suite, moi, la fille du gouverneur de Sakhaline ; moi, élevée dans l’horreur des condamnés du bagne, j’ai fait des vœux pour vous que j’avais deviné noble, incapable de crime.

Avec effort elle ajouta :

— Depuis… ma pensée a vécu sans cesse de votre vie. Vous absent, j’imaginais vos occupations, vos luttes. Je vous excusais de rester loin de moi… Le