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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

Et ils demeurent stupéfaits. Le félin n’a pas l’air de les apercevoir. Il bondit, se traîne sur le sol avec des rauquements de rage et de douleur.

Mais que fait-il donc ? Il va droit sur le foyer. Il met le mufle dans les flammes.

Il se rejette en arrière avec un éclat de voix terrible… Mais quoi ? Il y revient. Ses pattes se portent désespérément à sa tête… On dirait qu’il cherche à éloigner une souffrance. Soudain, il se jette en avant d’un élan rageur et vient retomber juste au beau milieu des flammes.

Et les assistants médusés contemplent une scène terrifiante.

Le carnassier s’est précipité. Il est loin du brasier mais il emporte le feu avec lui. Sa fourrure s’est embrasée… Un cercle de flammes l’entoure, corrode et fait éclater la peau. Il est hideux, saignant, horrible.

Malgré leurs craintes, les compagnons de Dodekhan ont pitié de la bête féroce qui se convulse en une effroyable agonie.

Et lui se penche vers eux, il murmure :

— Au moment où il paraissait à l’orifice de notre tunnel, je lui ai brûlé les yeux.

Aveugle… la tigresse est aveugle… Voila donc la raison de ses mouvements désordonnés, de sa marche au feu, du dénouement de l’aventure.

Lucien, les gamins, serrent les mains de Turkmène, dont le sang-froid les a sauvés.

La tigresse, les pattes calcinées, s’est étendue sur le sol. Elle halette péniblement.

— Quel malheur de n’avoir pas un revolver ! murmure le duc… C’est horrible de laisser souffrir cette bête.

Dodekhan a entendu. Lui aussi comprend ce sentiment pitoyable, qui fait oublier l’inimitié devant la souffrance, l’être qui souffre fût-il un tigre.

Sans mot dire, il va doucement au monceau de bois, amoncelé naguère par des caravaniers qui ne soupçonnaient pas à quels multiples usages il serait employé…

Après un instant de recherches, le jeune homme en retire une perche bien droite, bien solide, à l’une des extrémités de laquelle il fixe son long couteau, seule arme qu’aient conservée les fugitifs.

Son bâton, ainsi garni, figure une lance grossière.

Et calme, il s’approche de l’animal. Il pointa vers