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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

mer… excellent pour les globules rouges, comme dit M. Maulenc.

La petite duchesse approuva d’un signe de tête. Peu lui importait d’aller ici ou là. Elle était en proie à cette griserie du convalescent, longtemps captif à la chambre, et qui pour la première fois se retrouve à l’air libre.

Voici le Cua-Cam aux ondes paresseuses, coulant doucement entre la ville européenne et les faubourgs indigènes. Sampans annamites, petits vapeurs, imposants navires arrivés au moment de la haute mer, apparaissent, ceux-ci comme endormis au long des débarcadères, ceux-là glissant, rapides ou lents, sous la poussée d’avirons, de perches, de godilles, d’hélices.

Que c’est beau cette eau, ces constructions, ces embarcations, et aussi les masses verdoyantes des arbres, et le ciel que le soleil transforme eu coupole de feu !

Mona aussi semble admirer. Mais son sentiment est autre. Une émotion poignante l’étreint. Des sampans de promenade sont amarrés à quai.

Et elle songe que tout à l’heure, si la mystérieuse missive signée 12 ne l’a pas trompée, elle reconnaîtra l’embarcation verte, à la proue ornée de l’œil rouge.

Elle grelotte sous le large parasol qui arrête les flèches de feu du soleil… Elle a froid dans la tiédeur, de la matinée. Elle a peine à réprimer un cri.

À vingt pas, le sampan annoncé se montre. Sur le quai, deux hommes sont debout. Ils portent la veste lâche de coton bleu, le pantalon flottant serré aux chevilles des mariniers thaï-los, ces indigènes qui descendent des hautes vallées de la Rivière Claire, pour amasser un petit pécule dans le Delta, Limousins du Tonkin, économes jusqu’à l’avarice, accumulant leur gain jusqu’à une somme fixée par avance et retournant, dès que le chiffre est atteint, à leurs montagnes inaccessibles.

Oui, ce sont des Thaï-Los. Seuls, ces montagnards ont de ces chevelures, de ces barbes incultes dont le voile pileux descend sur le front, monte sur les joues, couvre le menton, les maxillaires : seuls, ils strient de raies bleues d’une dissolution d’argile cuprifère la faible partie de leur visage que leur barbe laisse à découvert.

Ces hommes ne paraissent prêter aucune attention