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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

— Va donc. Je t’écoute.

— Seigneur, je faisais partie du détachement que, par haute faveur, tu avais envoyé sur le territoire des Français, afin que tes fidèles pussent repaître leurs yeux de la vue des cadavres des Barbares.

— Eh bien ?

— Nous avons franchi la passe de la frontière. Nous nous sommes dirigés vers le village de Ki-Lua.

— Après ? Après ?

— Nous chevauchions sur la route, sans nous cacher. Nous fûmes bien un peu surpris de voir les habitants travailler paisiblement dans les rizières, mais nous pensions : Tout a été terminé cette nuit… Les Tonkinois sont des sages. De ce que l’on a tué l’ennemi, il ne s’ensuit pas qu’il faille négliger le riz, père et nourricier des hommes.

D’un formidable coup de talon, Log écrasa le sol :

— Eh ! je ne te demande pas de discours, mais des faits… Pourquoi es-tu revenu précipitamment ? pourquoi ton entrée affolée dans cette enceinte sacrée ?

— Parce que les Français sont vivants !

— Vivants !

Ce fut un rugissement de fauve qui jaillit des lèvres du géant et fit frissonner, dans leur asile, les fugitives assistant invisibles à la scène.

— Vivants, eux, malgré mes ordres !

Puis, menaçant, il fit un pas vers San immobile, comme pétrifié :

— Tu n’as donc pas allumé le bûcher rouge, misérable ?

Le serviteur se courba, et d’un accent timide :

— Si, Maître, si. Sur les Prières Gravées des Monts Célestes[1], je le jure. Mais les Koueï-Dzou (Diables étrangers) sont protégés par les Lutins des Ténèbres… Écoute ce guerrier, écoute-le… Tu condamneras ensuite tes fidèles, si tu les juges coupables.

La soumission du robuste San apaisa le maître.

Il avait raison. Avant tout, il fallait savoir, se rendre compte de la puissance adverse qui, pour la seconde fois, contrecarrait ses desseins. Et d’un ton redevenu calme, Log prononça :

— Continue.

  1. Serment majeur des Graveurs de Prières.