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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

balle de revolver entre les deux yeux et la lutte se terminait d’emblée.

Nabucho répliqua vivement :

— Vous vous méprenez. Lui mort, les guerriers des Esprits Noirs, ici rassemblés, — je les ai vus, reconnus — nous auraient massacrés, et avec nous celles que nous souhaitons sauver… Mais cela encore n’aurait qu’une importance relative…

— Permettez-moi, mon cher Dodekhan, cela me paraît d’une importance plus grande que cela.

Le faux Américain continua sons tenir compte de l’interruption :

— Seulement… nous disparus… il reste en Asie le terrible faisceau que mon père Dilevnor a formé pour l’indépendance… Qui le conduirait ? à quelles ambitions servirait-il ?… Non ! Il faut vivre pour que l’œuvre d’un être de bonté, d’humanité, de justice, ne sombre point dans le crime, dans l’horreur.

Le jeune homme parlait pour lui. Il avait oublié son compagnon, et ses yeux regardaient dans le vide, apercevant peut-être les choses invisibles que dévoile la pensée surexcitée.

Une clameur l’interrompit. À l’extérieur, dans la cour, la foule hurlait, vociférait. Des rires insultants sonnaient parmi les cris de haine.

Les jeunes gens se regardèrent.

Puis, sans un mot, Dodekhan courut à l’une des petites lucarnes carrées ménagées dans la paroi du car. Il ouvrit le châssis vitré, et laissant clos le volet à lamelles, il coula un regard entre les planchettes inclinées.

Lucien était à côté de lui. Comme lui, il essayait de voir.

Ils eurent un même gémissement sourd.

Au milieu de la foule formant un cercle rugissant, sur le plancher de tôle, Sara, Mona, Lotus-Nacré étaient debout, leurs jolis pieds nus, se détachant, rosés, sur la surface sombre du métal. Et des guerriers allumaient les fagots tout à l’heure accumulés sous l’estrade.

— Vont-ils les brûler vives ? fit le duc d’une voix haletante.

Comme pour répondre à la question, San étendit le bras.

Un grand silence suivit le geste, et le géant clama :