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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

mêmes cœurs dans des corps différents. Vous trompez vous-même… l’Amérique ou les Vieux Pays (locution américaine signifiant : Europe, ancien monde) cela n’est pas à mentionner… Une seule chose vaut l’attention, c’est le business (vente, achat, échange). Le hasard a fait que je fus créé aux United States ; mais la patrie de mon adoption est celle où je vends, où j’achète, où je troque. Depuis vingt années passées, je dépense ma vie dans la Chine… Mes dollars (monnaie américaine) sont des taëls (monnaie chinoise) que je dépose dans les banques de Canton ; mes clients sont chinois, c’est dire que mon amitié, comme l’amitié de tout être raisonnable, a traversé le Pacifique avec mes affaires, et que j’approuve toujours ma clientèle, et que je donne tort toujours aux Européens. Des gens qui n’achètent rien à mon magasin roulant ne sont en vérité pas dignes de l’appui moral de mon opinion.

Log écoutait l’étrange profession de foi du négociant.

Mais il connaissait trop ces marchands nomades, qui sillonnent les provinces du Céleste Empire, pour douter de l’exactitude des sentiments exprimés par Nabucho Fullfull.

En effet, il reconnaissait en lui un de ces « ambulants », qui vont de bourg en bourg, de village en village, ayant, qui une charrette, qui un car, qui des chevaux porteurs, avec une cargaison assortie aux besoins des populations de l’intérieur, êtres étranges, commerçant de tout, avec tous, et joignant à leur négoce licite, la vente clandestine du poison chinois, l’opium.

Évidemment, pareils individus n’étaient point à redouter. Ayant besoin du bon vouloir des mandarins, des autorités, de tout le monde, ils ne rapporteraient pas aux Européens établis sur la côte ce qu’ils auraient vu à l’intérieur du pays.

Il savait par expérience, que jamais ces « mercantis » n’ont fourni un renseignement, même à leurs compatriotes. Les légations entretenues en Chine par les gouvernements d’Europe et d’Amérique n’ignorent pas non plus ces choses, et leurs agents se dispensent aujourd’hui d’interroger les ambulants devenus sans-patrie, hypnotisés qu’ils sont par l’unique souci de leur négoce.

— Faites comme il vous agréera, conclut le Gra-