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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

vier. Ils allaient écarter les buissons. Ils se trouveraient face à face avec les jeunes époux.

En cas de conflit, l’issue du combat n’est pas douteuse. Le frêle Lucien, la petite Sara, n’étaient point de taille à se mesurer avec les athlètes jaunes. Brusquement, la gentille brunette appuya la tête de son interlocuteur sur le sol.

— Dors, fit-elle, en prenant de son côté la pose abandonnée du sommeil.

Il eût voulu interroger, mais déjà les branchages craquaient sous la poussée des étranges pêcheurs. Il ferma les yeux, comprenant l’idée de sa compagne. Qui dort déroute les soupçons de qui conspire.

Une exclamation gutturale le fit frissonner ; mais il ne bougea pas.

Seulement, à travers les cils bordant ses paupières légèrement soulevées, il distingua deux faces jaunes, aux regards ardents, qui trouaient le rempart de broussailles. La ruse de Sara réussirait-elle ?

Il n’eut pas le loisir de répondre à cette question muette.

La petite duchesse bâilla, étendit mollement les bras, se souleva sur son séant, et d’une voix lointaine, comme captive encore du sommeil :

— Il doit être tard… Lucien !… Lucien ! tu sais que le soleil baisse ; réveille-toi.

Elle le secouait gentiment, le contraignant à ouvrir les yeux à se redresser… Tout à coup, elle eut un cri :

— Qu’est-ce que c’est que cela ?

Elle désignait les pêcheurs, plaquant sur son visage mobile une expression stupéfaite et apeurée ? Cela fut si bien joué, que les personnages inquiétants y furent pris. Log ouvrit la bouche pour un large rire, et de la main montra le filet accroché à son épaule. Sara répondit par un éclat de gaieté :

— Ah ! vous m’avez fait peur… Vous allez pêcher… bien, bien, nous vous cédons la place, il va être temps de nous diriger vers notre dîner.

Les hommes au visage safrané eurent un geste de protestation. Ils semblaient dire :

— Vous ne nous gênez pas. Demeurez si vous voulez.

Mais Sara s’était levée, elle tapotait ses jupes, rétablissait l’harmonie de sa chevelure troublée par quelques mèches folles.