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tre à la tête de ses troupes, l’enfant le suivrait, lui avait fait une proposition :

— Écoute, mon vieil Espérat, si tu pars, fais-moi signe, je t’accompagnerai. À nous deux, nous ferons campagne gaiement. J’en ai parlé au père Antoine. C’est un ancien de la république, mais il m’a approuvé tout de même. Donc…

— Nous partirons ensemble, avait déclaré l’enfant, je serai heureux de combattre pour Lui à tes côtés.

Et chaque jour, il se rencontrait avec Marc Vidal. Le capitaine et le gamin s’étaient pris d’une vive amitié l’un pour l’autre. La loyauté, la décision d’Espérat, lui avaient attiré la confiance de Marc. Puis n’était-il pas tout naturel que celui-ci ouvrît son cœur au jeune garçon, devenu confident de son secret de tendresse, en présence de l’Empereur ; à cet adolescent pour qui Napoléon lui-même lui avait demandé son affection.

Enfin, n’étaient-ils point déjà rapprochés par un sentiment commun : leur dévouement passionné pour l’homme qui leur apparaissait comme pouvant seul sauver la France ?

En dehors de ces raisons héroïques, il y avait bien aussi un motif intime, — tout humain à sa faiblesse, — Marc se sentait ravi d’avoir un auditeur complaisant, auquel il pût vanter la beauté de Lucile de Rochegaule, raconter à satiété son séjour au château, dépeindre le vieux comte, sa haute taille que l’âge n’avait point voûtée, son visage ridé, sévère sous ses cheveux blancs, sa politesse hautaine et maniérée.

Ensuite il passait au tableau représentant le vicomte d’Artin, ce portrait qui l’avait toujours impressionné douloureusement, et dont les yeux lui semblaient, durant les heures de fièvre où l’officier se débattait contre la mort, se fixer sur lui avec une expression sardonique et méchante. Il plaisantait son impression maladive, lui faisant considérer cette figure peinte comme celle d’un ennemi, d’un adversaire qui lui serait fatal.

À son tour, le chevalier Henry de Mirel, le plus jeune fils du comte de Rochegaule, se montrait dans les récits du capitaine. Un enfant de quatorze ans à peu près, maigre, pâle et blond, avec une mine souffreteuse et craintive ne rappelant en rien la physionomie altière de ses parents, un enfant qui frissonnait au seul nom du vicomte d’Artin. Et aussi une femme du peuple : Marion Pandin, autrefois nourrice du chevalier Henry, étrange, mystérieuse, inclinée et familière, résistant au vieux comte, suivant son ex-nourrisson de regards humides de tendresse, et tremblant comme celui-ci quand le nom de d’Artin était prononcé.

Mais Lucile, Lucile surtout était l’objet des discours de Marc Vidal.