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Des libelles commentaient l’insuccès des négociations de Caulaincourt, de Saint-Aignan, du général Delort, qui avaient tenté, au congrès de Francfort, de négocier la reddition des places fortifiées de l’Oder et de la Vistule et la rentrée des garnisons en France, l’inutilité des pourparlers conduits par M. de Laforest en Espagne.

Et puis, au milieu de ces tristesses, de ces viles compétitions d’intérêts où les partis oubliaient d’être Français avant tout, de hautes figures de patriotes se dressaient, dont des haines immondes n’ont pu ternir la gloire, la loyauté.

C’étaient : Lazare Carnot, le vieux républicain, reprenant du service ; Caulaincourt suppliant l’Empereur de lui permettre d’aller au camp des alliés traiter de la paix et répondant à son souverain

— Qu’importent les humiliations que je subirai, si le pays, si vous-même êtes sauvés ?

C’était M. de Bassano, que l’on avait considéré jusque-là comme un vil courtisan du maître, et qui, dans ces jours sombres, se montra plus courtisan qu’aux époques de grandeur, élevant sa flatterie que l’on raillait au niveau admirable d’un culte profond et sincère.

Comme tous, Espérat subissait le contre-coup des événements. Tout le jour il errait par la ville, allait embrasser Emmie dont le départ pour Sainte-Hélène était proche, se rendant ensuite auprès de Marc Vidal, rapportant les nouvelles à Bobèche. Le comédien, lui, continuant ses représentations avec son compère Galimafré, couvrait de brocards acérés qu’applaudissait la foule, les ennemis extérieurs et intérieurs de la nation.

— Dans un pays où il se trouve des gens qui travaillent, disait-il sur ses tréteaux, ceux qui ne font rien seraient condamnés à la misère, concevez-vous cela, Galimafré ?

— Mais il me semble que cela serait juste, observait l’interpellé.

Son interlocuteur lui décochait aussitôt un coup de pied au bas de l’échine et reprenait :

— Vous êtes un sot, M. Galimafré.

— C’est bien possible, patron Bobèche.

— Dans un État, tout le monde doit vivre, surtout les paresseux qui économisent leurs forces tandis que les travailleurs les dépensent.

— Alors vous devriez mourir de faim, car votre pied est prodigue à mon endroit… pardon, je me trompe, à mon envers.

Nouveau coup de botte, et se tournant vers la foule des badauds, Bobèche concluait :

— Ce garçon est magistralement stupide. Mais vous m’avez compris,