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en un geste d’ardente dénégation, et ses traits bouleversés disaient le trouble de son esprit.

— Traître… oh non… mon sang est à vous, ma vie vous appartient.

— Que dois-je donc penser de ton silence ?

— Pensez, sire, que l’ennemi est à nos portes… que conspirer à cette heure est le plus grand des crimes… qu’en parlant, je condamnais à mort…

Des larmes jaillirent des yeux du soldat, il eut une aspiration profonde comme si l’air manquait à ses poumons, et acheva d’une voix déchirante :

— Je condamnais à mort… le fils de l’homme qui m’a sauvé la vie… le frère de celle qui possède mon âme, que je nomme ma fiancée malgré l’abîme creusé entre nous par la politique.

D’un violent coup de talon, l’Empereur ébranla le plancher et avec une colère réelle :

— Imbécile, gronda-t-il, est-ce que je sais faire pleurer ceux que j’aime.

Il y avait tant de bonté vraie dans cette apostrophe brutale, c’était si bien le cri d’un cœur blessé par l’injustice, qu’Espérat sentit ses yeux devenir humides, que Vidal fléchit le genou :

— Pardonnez-moi, Sire, pardonnez-moi. Votre générosité m’accable. J’ai obéi à des calculs misérables, j’ai été infâme en manquant de confiance en vous.

Et bégayant :

— C’était bien le vicomte. Je l’ai abordé, je lui ai dit : Mon devoir serait de vous livrer… Je n’en ai pas le courage. Je dois l’existence au comte de Rochegaule… Je lui devrai aussi la pire souffrance, car il ne consentira jamais, lui, le fervent royaliste, à accorder la main de sa fille, de Mlle Lucile, à un soldat de l’Empereur… Mais il a fait taire les haines de partis devant un mourant, je veux agir de même… Vous allez quitter Paris… à l’instant… ou sinon, ne pouvant me résoudre à vous accuser je vous tue… Il railla : Singulière façon de faire votre cour à ma sœur. Mais je l’interrompis : Entendez donc que c’est la voix de l’honneur qui parle, cette voix devant laquelle toute autre se tait… partirez-vous… ? Alors il répondit : Je partirai. Voilà, Sire, ce que j’espérais conserver pour moi seul.

Espérat fut tenté de se jeter au cou de l’officier. En l’écoutant, il avait songé à Emmie et ressenti au plus profond de son être l’abnégation sublime de Marc.

Payer sa dette au noble comte qui l’avait tiré d’entre les morts et sa-