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— Vous entendez, Monsieur de Taillerand, vous entendez ?

— Oui, Sire, balbutia le prince de Bénévent.

— Eh bien, répétez mes paroles aux fous qui, sous votre toit, conspirent contre moi, sans se rendre compte qu’ils conspirent contre leur patrie.

— Votre Majesté, protesta M. de Talleyrand…

Mais avec violence l’Empereur le repoussa au fond de son fauteuil :

— Silence, écoutez-moi… J’aurais pu les punir… de Vitrolles, le baron Louis, Dalberg, de Pradt, je les connais tous… Je veux pardonner encore, pour la dernière fois…

Et s’apaisant soudain par un incroyable effort de volonté :

— J’ai été clément, trop clément peut-être… mais il me semblait que je devais à la gloire de la France victorieuse d’oublier les trahisons, les injures. Aujourd’hui, c’est la France envahie que je représente… je n’ai plus le droit de pardon. Vous avez compris ?

— Oui, Sire, mais permettez-moi de vous assurer…

— Rien. À quoi bon ? Tout ce que vous pourriez dire ne détruirait pas le fait brutal. L’étranger nous inflige l’invasion. Des hommes pactisent avec lui. Comment désignerez-vous leur action ?

Le diplomate demeura muet.

— Aucun euphémisme ne se présente à votre esprit subtil, Monsieur de Taillerand. Je vous en félicite d’ailleurs. Vous me prouvez ainsi que les phrases creuses des avocats n’ont pas tué chez vous le sentiment de l’idée. Rentrez chez vous, réfléchissez, et tâchez de convertir les égarés, dont, cette fois encore, je veux oublier les noms. Allez, Monsieur de Taillerand.

Le diplomate se leva aussitôt, salua très bas et gagna la porte.

Mais quand il fut dehors, quand le panneau de bois fut retombé sur lui, une effroyable grimace convulsa son visage :

— Ah ! gronda-t-il, tu es le général de la Liberté… c’est pour cela que tu dois tomber. Le peuple est fait pour l’obéissance… Sois tranquille, une fois jeté à bas de ton piédestal, nous présenterons ta mémoire de telle sorte que le peuple lui-même verra en toi le pire de ses ennemis.

Puis reprenant son attitude paisible et souriante :

— Allons décider ce niais de d’Artin à nous gagner Enrik Bilmsen, et la divine Liberté, comme l’appelle ce fou, descendra au tombeau. Nous scellerons la pierre funéraire de manière qu’elle ne se relève jamais.

Dans l’antichambre, le capitaine Marc Vidal attendait.