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taquinerie prétendent les uns, par un reste d’accent corse disent des autres.

— M. de Taillerand, commença Napoléon ; les armées alliées vont m’obliger à une campagne d’hiver.

— Ah ! s’exclama le prince avec une surprise parfaitement jouée.

— Oui, contrairement à toute prévision, la mauvaise saison ne les arrête pas. À cette heure, ils se préparent à l’invasion, j’ai donné ordre à mes généraux de se replier vers Langres. Sous peu de jours, j’irai moi-même prendre le commandement des troupes de France… Vous me suivez n’est-ce pas ?

— Oh ! Sire, toute mon attention est concentrée sur ce que vous me faites l’honneur de me dire.

Cette fois, Talleyrand ne mentait pas. Il écoutait avec une sourde inquiétude, se demandant où l’Empereur voulait en venir.

— La lutte sera chaude, reprit celui-ci, car les forces dont j’aurais pu disposer au printemps sont loin d’être rassemblées. Je dois permettre l’invasion, n’étant pas assez fort pour la prévenir.

Comme un éclair, une lueur joyeuse passa dans les yeux du prince de Bénévent à l’énoncé de cet aveu.

Mais il se contraignit et d’un ton pénétré :

— Votre Majesté est-elle certaine de la situation qu’elle expose ?

L’Empereur abaissa la tête à plusieurs reprises :

— Oui, elle ne m’inquiète pas d’ailleurs. Les alliés seront vaincus dans les plaines de France, voilà tout. Ce que je redoute, c’est que les partis domptés ne profitent de mes embarras pour relever la tête, pour conspirer.

Du coup, Talleyrand ressentit un léger froid entre les épaules ; ses paupières clignotèrent. Pourtant sa voix ne trahit pas son émotion lorsqu’il demanda :

— Pensez-vous vraiment que les royalistes ?…

Napoléon frappa dans ses mains.

— Je ne les avais pas nommés, M. de Taillerand. Je pensais bien qu’un homme aussi habile devait être informé mieux que moi-même.

Se mordant les lèvres, le diplomate tenta de réparer son étourderie.

— Il est facile de paraître au courant, Sire. En dehors des partisans du roi, je ne vois personne en état de vous inquiéter…

Son impérial interlocuteur l’interrompit.

— Tout est facile, M. de Taillerand, vous avez raison ; tout est possible aussi, l’erreur même sur les faits qui se déroulent sous nos yeux. C’est de cela seulement que je souhaite vous convaincre. Avez-vous étudié l’his-