Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Messieurs, permettez-moi de vous présenter M. le chevalier de Roysset.

Et une triple exclamation trahissant la stupéfaction de ses interlocuteurs, le prince poursuivit.

— M. de Roysset a consenti à revêtir la livrée, à faire bonne garde dans la pièce voisine, afin que vous soyez assurés qu’aucun indiscret n’ouïra les paroles qui vont être prononcées.

Tous tendirent la main au jeune homme, le plus habile des agents royalistes, car jusqu’à cette heure, son nom n’avait pas appelé l’attention.

— Messieurs, fit celui-ci, je me sens honoré au delà de mon mérite par cette présentation, mais je dois l’abréger afin que vous écoutiez au plus tôt ce qu’a décidé notre chef.

Il s’inclina devant Talleyrand, et regardant d’Artin avec une insistance étrange.

— Tout pour le roi, continua-t-il avec énergie, tout… même la vie, même l’honneur.

Dans ses yeux passa rapide l’exaltation mystique qui auréola le front de quelques chouans, de quelques dévoués, noyés parmi les rebelles mûs surtout par l’intérêt, mais ce fut un éclair, il reprit, son calme, redit doucement sur le ton de la prière :

— Tout pour le roi.

Et pivotant sur ses talons, il marcha vers la porte en ajoutant :

— Je vais à mon poste ; causez en toute sécurité, Messieurs.

Le battant retomba sur lui. Talleyrand et ses hôtes étaient seuls.

— Ah çà ! que signifie cette cérémonie, s’écrièrent d’une voix les hôtes du prince de Bénévent ?

Celui-ci les calma d’un geste :

— Vous allez le savoir, Messieurs. Les bavards sont partis. Notre factionnaire est un homme sûr et vous êtes des gens discrets.

Ce disant, Talleyrand s’assit, puis avec une inclination de tête à l’adresse de Dalberg :

— M. le Duc, veuillez-nous dire ce que le Tugendbund vous a chargé de nous communiquer.

Le courtisan de tous les régimes s’était métamorphosé en quelques secondes. Plus de sourires, plus de ronds de bras, plus de clignotements de paupières. Toute sa personne avait pris un air de gravité, ses yeux regardaient bien en face, il y avait en lui une autorité, une volonté irrésistibles.

Pourquoi cet homme supérieurement doué usa-t-il de ses étonnantes facultés pour écraser la France et non pour la relever ?