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— Si ces messieurs veulent me suivre.

Espérat pâlit ; il se leva d’un mouvement automatique, tandis que son ami, sans rien perdre de son flegme, accueillait l’annonce du valet par un petit signe de tête plein d’aisance.

Et tous deux, l’enfant frissonnant d’émotion, le pitre imperturbable, se mirent en marche précédés par le laquais.

Processionnellement ils montèrent l’escalier. Sur le palier du premier étage, le domestique les remit à une suivante, qui leur fit traverser plusieurs pièces. En face d’une dernière porte, celle-ci les pria d’attendre un instant, puis elle entr’ouvrit et prononça quelques mots que les visiteurs n’entendirent pas. Mais une voix douce, un peu dolente, parvint à leurs oreilles :

— Qu’ils entrent, qu’ils entrent… J’ai presque terminé… ; dans cinq minutes, je serai tout à eux.

La servante ouvrit le battant au large, et les jeunes gens s’arrêtèrent sur le seuil, le cœur serré par le spectacle qui s’offrait à leurs yeux.

Joséphine était là, nonchalamment assise sur un canapé, au centre de sa chambre à coucher, de forme ovale, au plafond peint d’azur, aux tentures vertes, aux colonnettes dorées.

Sur le front, elle portait le double bandeau d’un diadème bleu sur lequel se gonflaient de grosses perles, et sa longue tunique d’un blanc crémeux flottait autour d’elle ainsi qu’un nuage, coupée très haut, presque sous les bras, par un ruban bleu, également rehaussé de perles.

Et sur cette toilette de fête, dont le décolletage découvrait les épaules amaigries, les bras amenuisés, l’Impératrice montrait son visage pâle, aux yeux cerclés de bistre, aux joues creuses, ravagé par la lente maladie qui, quelques mois plus tard, devait conduire au tombeau celle que l’on avait si souvent nommée la coquette Joséphine. Dans l’attitude de son portrait peint par Proudhon, elle eut un doux sourire :

— Entrez, Messieurs, entrez… asseyez-vous. J’en ai encore pour un instant… je n’ai pas voulu vous laisser vous morfondre en bas. Vous excuserez ma coquetterie d’avoir voulu passer la première.

Les visiteurs s’inclinèrent. Il leur eût été impossible de prononcer une parole, tant était navrant le contraste entre la légèreté affectée des paroles et l’aspect maladif de la pauvre femme.

Ils s’assirent et immobiles regardèrent :

Plusieurs personnes entouraient l’Impératrice.

— Voyons, finissons-en, reprit cette dernière. Vous, Leroy, vous serez un amour de couturier, et vous, Garneray, le plus aimable des dessinateurs ; il me faut cette robe pour demain soir… une merveille inédite… ; pour les