Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE V

La bonne Joséphine



Le lendemain, vers neuf heures, après une nuit durant laquelle, en dépit de ses préoccupations, Espérat avait dormi à poings fermés, le gamin descendit sur le quai, accompagné par Bobèche.

Le pitre s’était métamorphosé en un élégant bourgeois. Coiffé d’un chapeau haut de forme, il portait, sous un ample manteau, l’habit à collet montant, le gilet de casimir, la culotte collante et les bottes à revers. Ses mains se cachaient sous des gants jaune clair, ornés sur la face externe de deux lettres tricolores entrelacées : N.-S., que des partisans de l’Empire traduisaient par : Napoleo Semper (toujours Napoléon), et les adversaires du régime par Napoleo Satanas (Napoléon, Satan).

Avec leur devise pour tous les partis, ces gants, lancés par un industriel de génie, Carville, faisaient fureur et, comme le disaient les anglomanes d’abord, dont le dialecte offrait une analogie frappante avec celui des snobs ou smarts de nos jours, ils étaient… dernière escouade.

Bobèche, très grave, héla un cabriolet de louage, y prit place avec son jeune ami, et d’un ton qui fit croire à l’automédon qu’il transportait quelque haut dignitaire :

— À la Malmaison… grand train.

Un magistral coup de fouet transmit l’ordre à la haridelle qui soufflait entre les brancards, et le véhicule se mit en mouvement.

Le cabriolet franchit bientôt la porte de Chaillot, longea le bois de Boulogne, s’engagea sur le pont de Puteaux, et laissant à gauche le Mont-Valérien couvert d’un bois ombreux, gagna Rueil. Là, il abandonna la route Impériale, et par un chemin courant à travers champs, se dirigea vers la résidence de l’Impératrice répudiée.