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s’échappait de ses lèvres avec des grincements, des sifflements…

— Ah ! gémit-il soudain, enfin vaincu par le supplice, je souffre trop.

Il eut un hoquet, un cri… presque un râle, et tout à coup, il se jeta hors de son lit… Chancelant, livide, n’ayant plus conscience de ses actes, il courut au cabinet de toilette voisin et repoussa la porte derrière lui.

Caulaincourt s’était dressé tout droit… L’espoir brillait en ses yeux avidement fixés sur le panneau qui dérobait l’Empereur à ses regards.

Et comme il restait là, heureux et anéanti, une tête anxieuse parut dans l’entrebâillement de la porte de l’antichambre, une voix faible comme un souffle murmura :

— M. de Caulaincourt.

Le diplomate se retourna :

— Espérat, dit-il !

— Oui, moi… Mais Sa Majesté… mais l’Empereur… ?

— Il est sauvé, j’espère… grâce à toi, grâce au stratagème qui t’a fait mêler à l’eau de cette carafe le contrepoison…

— Sauvé… alors : Vive l’Empereur !

Dans un mouvement de joie irréfléchie, le jeune garçon bondit dans la chambre et sautant au cou de M. de Caulaincourt, embrassa celui-ci à plusieurs reprises.

Il riait, et pleurait à la fois. Quant au diplomate, aussi bouleversé que lui-même, il cherchait vainement à se débarrasser de l’étreinte de Milhuitcent, en bredouillant :

— Assez ! assez ! tu m’étouffes… Il est sauvé… inutile de m’étrangler pour cela.

— Sauvé… Vous aviez donc prévu que je chercherais la mort ?

Ces mots résonnèrent aux oreilles des deux fidèles comme un éclat de tonnerre. Ils se séparèrent brusquement, regardant du côté d’où venait le son.

Sur le seuil du cabinet de toilette, Napoléon était debout, blême, s’appuyant au chambranle.

Il se fit un lourd silence, puis Espérat s’approcha de l’Empereur et mettant un genou en terre :

— Pardonnez-moi d’avoir agi contre votre volonté, Sire, mais la France a besoin que vous viviez.

— C’est donc à toi que je dois…

— Le contrepoison délayé dans l’eau de cette carafe…, du tannin, ennemi de l’opium… Oui… Sire.