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— Oh ! oh ! s’exclama le droguiste en gonflant ses joues… une grande douleur… de l’opium… voilà qui est inquiétant.

Le jeune garçon paraissait ravi d’entendre Varlot exprimer son opinion d’un air de suffisance.

— Je suis heureux de voir que ma pensée était raisonnable.

— Votre pensée ?

— Oui, monsieur le bachelier. Je m’étais dit : l’opium est un poison ; nous ne pouvons employer la ruse pour l’enlever à notre parente… mais peut-être qu’avec le concours d’un homme éclairé, d’un homme de science — le droguiste salua — il serait possible de le neutraliser.

— Le neutraliser… c’est un contre-poison que vous désirez ?

— Précisément. Le négociant se prit le menton, sembla s’absorber dans des réflexions profondes, puis d’un ton doctoral :

— Mon jeune ami, l’ingestion de l’opium détermine l’arrêt de la circulation ; d’où sommeil, coma, et enfin mort.

— Il importe donc d’arrêter l’action nocive de ce produit, et pour cela d’obliger le patient à le rejeter… un vomitif est indiqué en pareil cas… Après cela, du café en quantité afin de réveiller, de surexciter les nerfs engourdis par le poison.

Espérat écoutait sans mot dire. Il songeait, que l’Empereur serait seul toute la nuit ; que d’ailleurs, absorbât-il la poudre du docteur Yven dans la journée, il serait impossible de le contraindre à se soigner.

Le résultat de ces idées fut qu’il s’écria d’un air consterné :

— Hélas ! si ma parente s’empoisonne durant la nuit, nous la retrouverons au matin trépassée.

— Cela est de toute évidence.

— De plus, elle a une volonté de fer, ma parente… Elle ne consentirait peut-être pas à boire les remèdes.

Le droguiste parut embarrassé à son tour.

— Diable ! Diable ! bougonna-t-il. On sauve les gens avec leur consentement… mais malgré eux, c’est impossible.

— J’avais songé à un moyen… insinua le jeune homme. — Est-il pratique, voilà ce que je ne sais pas.

— Interrogez, mon jeune ami, interrogez… je me ferai un plaisir de répondre.

Milhuitcent poussa un soupir de satisfaction. Le droguiste était enfin arrivé à l’état d’esprit où il avait espéré l’amener.

— Voici, monsieur le bachelier. Le poison que détient ma parente est en poudre. Pour l’absorber, il sera nécessaire de le délayer dans de l’eau.