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— Espérat, s’écria l’Empereur avec une intonation qui décelait les angoisses que sa volonté dissimulait à son entourage.

— Et une lettre de M. de Caulaincourt, Sire.

— Une lettre, pourquoi… ? Quand on a sous la main un messager tel que toi on se dispense d’écrire.

— M. de Caulaincourt a dressé un rapport de ses démarches.

— Et puis tout va mal, n’est-ce pas ?… Tu ne t’es pas senti le courage de prononcer des paroles qui, selon toi, doivent m’affliger.

Le jeune garçon courba la tête.

Napoléon se leva, vint à lui et le pressant sur sa poitrine :

— Va, rassure-toi… le rassemblement de mon armée est presque terminé… C’est sur elle que je compte pour chasser l’étranger… remets-moi le rapport de mon brave Caulaincourt… Berthier va nous en donner lecture… Pendant ce temps, regarde-moi ;… quoiqu’il contienne, tu me verras sourire.

Il était impossible de se montrer plus simplement grand dans l’adversité.

Avec une inclination profonde, Espérat tendit le pli à son auguste interlocuteur. Celui-ci le passa au général Berthier qui, dans le silence, lut :

« Sire,

« Conformément aux instructions de Votre Majesté, je me suis rendu à Paris accompagné du jeune Espérat Milhuitcent, un enfant que peu d’hommes égalent eu dévouement et en courage.

— Je le sais, murmura l’Empereur,… continue Berthier, continue.

« Immédiatement nous avons couru à l’hôtel de ville, afin de nous concerter avec la municipalité et les préfets[1]. Mais déjà ceux-ci, avec une délégation de l’Assemblée, étaient partis pour le château de Bondy, occupé par Alexandre de Russie, qui semble l’arbitre désigné du conflit actuel.

« Hélas ! un nom pénible entre tous aux oreilles de Votre Majesté devait être prononcé durant l’entretien. Celui de M. de Talleyrand.

« Voici l’incident, tel qu’il m’a été conté :

« M. de Nesselrode, attaché à la personne du Czar, reconnut, parmi les délégués, M. de Laborde et le pria, au nom des souverains alliés, d’aller trouver Talleyrand et de l’assurer de la haute considération des chefs de la coalition.

— Bon ! remarqua Napoléon,… haute trahison, haute considération de

  1. Préfet du département de la Seine et Préfet de Police. Cette organisation subsiste encore aujourd’hui.