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de Lyon, s’étaient mesurées avec le corps d’armée d’Augereau, avaient détaché plusieurs divisions, dont l’arrivée prochaine était annoncée. Elles allaient se joindre aux cohortes en route sur Paris.

Les populations, durement traitées par les envahisseurs, avaient été terrifiées par cette nouvelle invasion en expectative.

En masse, elles avaient émigré vers le sud.

C’était une désolation profonde, que ces campagnes, désertées par les paysans, où aucun soldat ne se montrait encore.

À la traversée des villages, sur les longues routes sans passants, les voyageurs allaient tristes, avec l’impression de circuler dans un pays maudit, brusquement dépeuplé par une calamité.

L’espoir, lui aussi, était mort en eux.

Depuis la terrible bataille de Laon, depuis que Napoléon avait dû battre en retraite devant les forces supérieures de Blücher, Bobèche avait perdu sa faconde, Espérat sa résolution.

Cependant c’était un devoir qui les ramenait à Châtillon. Il fallait rapporter des nouvelles à l’Empereur… et le nom de Lucile montait à leurs lèvres. Ils songeaient :

— Tout peut encore se réparer, si elle est restée libre.

De temps à autre, Milhuitcent murmurait, comme pour raffermir son courage :

— Tout peut encore se réparer…

Bobèche comprenait et répondait avec l’accent du doute :

— Si elle est restée libre.

Puis tous deux se taisaient, angoissés par le son de leurs voix dans le silence morne des plaines.

Aussi, grande fut leur surprise, en arrivant aux premières maisons de Brion-sur-Ourse, d’entendre une basse-taille retentissante jeter aux échos ce refrain bachique :

— Pour que mon âme soit en fête
Je veux pour cercueil, un pressoir.
Ainsi le vin, sur mon squelette,
Coulera du matin au soir.

Ils s’étaient arrêtés.

— Parbleu, murmura le pitre, si nous n’avions abandonné le pope…

— … à Châtillon, tu jurerais que c’est lui, n’est-ce pas, acheva Milhuitcent.

— Absolument… Écoute…

L’organe tonitruant s’éleva derechef :